La décontraction américaine

De Levi Strauss à Ralph Lauren, les États-Unis sont une formidable machine à succès mondiaux. En à peine 50 ans, son style, inspiré de la garde-robe des étudiants de la Ivy League et du sportswear, est devenu planétaire.

Allure impertinente et raffinée, Ralph Lauren incarne l’élégance intemporelle qu’il dessine. Anti-tendance, ses tenues, casual chic, s’inspirent du cinéma et de ses acteurs fétiches comme Cary Grant et Fred Astaire. Il a même confié un jour au magazine Vogue que plus jeune, il voulait être Randolph Scott. C’est lui qui créa, en 1974, les tenues du film Gatsby, Le Magnifique.

Le jean, 100 % born in USA ? Pas tout à fait. Il a été inventé par un immigré allemand à partir d’un tissu français de Nîmes et d’une coupe italienne, celle du pantalon d’un marin génois, non pas pour les cowboys mais des chercheurs d’or. Le jean n’est pas seulement la plus grande contribution américaine à la mode internationale (2,3 milliards d’exemplaires vendus chaque année), il incarne « ce phénomène américain » capable de transformer, améliorer et commercialiser des vêtements de toutes origines pour en faire des succès mondiaux. Melting-pot, les États-Unis l’ont été aussi dans la mode.

Développement du prêt-à-porter

Conséquence de la guerre de Sécession : ils découvrent la standardisation des tailles, et le prêt-à-porter y connaît l’essor le plus fracassant. Quand en France, les syndicats de tailleurs détruisent les machines à coudre qui ont servi à produire les uniformes de la première Guerre, les Américains développent des usines de prêt-à-porter.
Dès le début du siècle, la bonne société américaine uniformise ses codes vestimentaires avec le style Ivy League, (qui regroupe les meilleures universités du pays comme Harvard, Princeton ou Stanford). Les étudiants arborent une mode d’inspiration anglaise nourrie d’influences sportives. Les bouleversements de la première Guerre mondiale leur permettent de secouer le carcan des influences puritaines, qui camouflaient le corps sous des mètres de tissu. Ceux qui se sont battus découvrent ainsi le confort des uniformes modernes.

Le style sur grand écran

Les hommes s’intéressent à la mode et veulent acquérir style et élégance. Deux magazines sont alors créés, Apparel Arts en 1931, et Esquire en 1933. L’influence du cinéma est aussi prépondérante. Pour échapper à une réalité difficile due à la crise de 1929, les Américains se ruent dans les salles obscures et découvrent des acteurs comme Fred Astaire ou Cary Grant, qui rivalisent de style avec les autres stars des magazines : le duc de Windsor et son frère le duc de Kent, ou l’écrivain Lucius Beebe. On raconte même qu’en 1934, Clark Gable fit chuter les ventes des maillots de corps en apparaissant torse nu dans It happened one night de Franck Capra.

Les acteurs s’habillent au cinéma comme dans la vie et souvent eux-mêmes, contrairement aux actrices qui ont des costumières. Ils se fournissent à Londres, important la fameuse London Cut. Mais les tailleurs américains l’adaptent à la mentalité du pays, qui recherche le confort.
La guerre de 1939-1945 mondialise les « inventions » américaines, comme le « chino » des marins, le « flight » ou le « bombers » des pilotes. De même, Kennedy internationalise le « sack suit » Brooks Brothers et la chemise à col « button down » et Marlon Brando, le perfecto et le tee-shirt. La Beat Generation immortalise le blouson en daim de Jack Kerouac tandis que plus tard, le « friday wear » s’impose dans toutes les boîtes du monde.

L’arrivée des preppy

C’est dans la mode estivale que les Américains se signalent par leur audace : des couleurs acidulées ou pastel, dans des tissus ultralégers, des patchwork de madras, des motifs brodés d’inspiration Nouvelle Angleterre… Un détournement des codes conservateurs de la Ivy League qui formera le fond de la garde-robe des « preppys » (diminutif de « preparatory »).

Ralph Lauren va en être un des principaux créateurs. Au départ simple vendeur de cravate, dès 1967, il commence à dessiner des collections aux couleurs joyeuses inspirées de l’héritage Ivy. Il les vend sous la marque et le logo « Polo », parce que ce mot incarnait « l’argent, le style et que le polo était une sorte de mythe international ». Le succès est foudroyant. Aujourd’hui, son chiffre d’affaires se compte en milliard. Tout est promesse de bon goût, et chaque élément (un costume Purple Label, un pull en coton ou une chemise en chambray) raconte la vie d’un personnage : une sorte de concentré de mythologie masculine anglo-saxonne avec, pour décor, un ranch dans le Montana ou une villa aux Hamptons. Ralph Lauren vend aussi du rêve américain.

Une mode facile

Grand rival, Calvin Klein, a débuté pratiquement à la même époque. Sa mode est différente, plus minimaliste, et sa communication beaucoup plus agressive. C’est lui qui fait du caleçon en coton moulant le sous-vêtement masculin le plus sexy jamais inventé. Un succès phénoménal, qui fit dire à sa fille Marci :

« À chaque fois que je me mets au lit avec un homme, je vois le nom de mon père sur son caleçon ! »

Autre coqueluche de la rue, Tommy Hilfiger qui démocratisera le style preppy et surfera même un temps sur « l’Amérique hip hop ». J.Crew, Gant ou Abercombie&Fish, mais aussi Thom Browne, Michael Bastian, aujourd’hui, on ne compte plus les créateurs qui redessinent les contours de l’élégance américaine. Avec ses basiques, sa mode facile et son esprit « décontracté », le preppy est partout et fait du style américain une référence intemporelle et planétaire.

 

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