L’art du pantalon

Encore plus que la veste, il définit la silhouette. Ses récentes évolutions de style – taille basse, jambe fuselée, coupe plus ajustée – sont des défis techniques que seuls les spécialistes savent relever.

En exergue de son petit essai Le monde et le pantalon, Samuel Beckett, peu suspecté de légèreté, raconte l’histoire du client exaspéré par le temps que son tailleur a mis à lui confectionner un pantalon et qui l’apostrophe ainsi : « Dieu a fait le monde en six jours, et vous, vous n’êtes pas foutu de me faire un pantalon en six mois ». Et le tailleur nullement impressionné de répondre : « Mais Monsieur, regardez le monde et regardez votre pantalon ».

L’influence du jean

Personnellement, c’est après plusieurs expériences malheureuses que m’est venue l’idée de m’intéresser au pantalon. Avez-vous remarqué que les tailleurs souvent ne s’intéressent qu’à la veste ? Ils sont intarissables sur leurs épaules, les revers mais sur le pantalon, on les entend très peu. En prêt-à-porter, c’est la même chose, à la différence que les stylistes suivent la mode de plus près ; la ligne des pantalons est naturellement plus actuelle. Mais à part le tour de taille et quelque fois la largeur du bas, on ne se pose guère de questions sur le pantalon.

Pour en savoir plus, par chance, nous avons rencontré à Monsieur l’un des experts ès-pantalon, Franck Zins dont le père, Bernard Zins, était ingénieur pantalonnier, une spécialité de l’école Supérieure du Vêtement de Paris. Réputée mondialement, la maison Zins a longtemps fourni les plus grands (Hermès, Arnys, etc.) avant de proposer ses pantalons sous sa propre griffe et même d’ouvrir, il y a deux ans, la première et probablement la seule boutique au monde, à ne vendre que des pantalons.

Ce spécialiste insiste d’abord sur l’influence qu’a eu le jean sur le pantalon depuis une vingtaine d’années. Si l’allure d’un jean et d’un pantalon classique était évidemment très différente surtout entre un jean et un pantalon à pinces, le confort perçu et les sensations le sont également. Dans un jean bien ajusté, on se sent comme « sanglé » et lorsqu’on a pris cette habitude, le confort « flottant » du pantalon à pinces donne une impression désagréable de ne pas être « tenu ».

L’épreuve de l’escalier

C’est donc sous l’influence du jean que la coupe du pantalon de ville se présente aujourd’hui beaucoup plus près du corps, avec des  jambes plus étroites et des bas en dessous de 20 à 19, 18 voire 17 cm. Cette coupe « slim » requiert une technique parfaitement maîtrisée qui relève du grand art si l’on veut concilier taille basse et montant (longueur de braguette et début de la fourche). Il faut savoir que le montant doit faire au minimum 20 cm et que l’on voit un vrai confort à 22, 23 cm selon sa taille. Le tailleur Djay qui possède son propre culottier et qui a lui-même beaucoup étudié la question, recommande même l’épreuve de l’escalier.

Ce n’est en effet que lorsqu’on monte un escalier que l’on peut juger du confort d’un pantalon. Pour lui, rien n’est plus compliqué dans le vêtement que le pantalon. En sur-mesure, il demande à un tailleur et un assembleur expérimentés seize heures de travail. C’est que le pantalon comprend une trentaine de pièces et que le tissu doit être travaillé au fer en préalable au montage. Cela s’appelle le cambrage. Il y a aussi la délicate question du côté fort et du côté faible. Si savoir de quel côté on porte (ses attributs virils) n’est évidemment pas pris en compte en prêt-à-porter, en sur-mesure, c’est la question fondamentale. Formé selon la méthode Ladevèze-Darroux par son maître d’apprentissage, Djay est un des tailleurs les plus conscients de la question du pantalon avec Lorenzo Cifonelli. S’ils ne montent pas leurs pantalons eux-même (ils ont des culottiers), ils font les patronages pour la découpe.

Le retour des pinces

Bien sûr les tailleurs se plient aux demandes de leurs clients mais ils constatent que même en sur-mesure, les goûts changent. Pantalons taille basse, bas plus étroits, jambes plus fuselées et longueur « à la cheville » sont désormais la règle. Si on assiste, comme le note Frank Zins, à un retour du pantalon à pinces chez certains clients très pointus, il reste à éviter pour tous ceux qui veulent conserver une silhouette jeune (et qui peuvent se le permettre bien sûr). En résumé, un pantalon de ville n’est vraiment confortable que s’il tient sur les hanches. Sa braguette à fermeture à glissière ou boutonnée doit être à 20 cm.

Le revers : jamais en dessous de 4 cm

Aujourd’hui, la jambe est fuselée avec un bas à 17 ou 18 cm pour la moyenne, 16,5 pour les extrêmes, 19 pour les traditionnels. Les poches doivent être profondes et ne pas laisser échapper leur contenu lorsqu’on s’assoit. Dans l’idéal, la ceinture doit être ajustable et comporter un porte-ardillon (petite boucle que l’on passe dans l’ardillon de la ceinture) destiné à maintenir le devant. Pour le revers, c’est affaire de goût mais jamais en dessous de 4 cm. Quant à la longueur, jamais de surplus de tissu cassant sur la chaussure, c’est archi-ringard. Laisser voir légèrement la chaussette sera parfait. À vous de travailler un peu maintenant : pas de bon pantalon par hasard, essayez patiemment. Certains clients en mesure passent plus d’une heure à tout tester, vérifier… Une belle silhouette est à ce prix.

Trois variations du pantalon classique par Bernard Zins, pantalonnier français de réputation internationale. À gauche, BZV3 à double pli français, au centre BZV3 simple pli français, à droite BZV3 sans pli. Si cette dernière version est aujourd’hui la plus en vogue, on prévoit un retour du double pli déjà adopté par des dandys très pointus.
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