Les montres font leur cinéma

Les montres s’affichent souvent en cinémascope. Au-delà des simples placements produit, dont l’industrie horlogère est aussi friande que celle du septième art, les plus belles histoires de montres tiennent souvent de la magie. Comme au cinéma.

Tout se joue 24 fois par seconde. Pour Jean-Luc Godard, il est question de vérité. Selon Brian de Palma, ce serait plutôt une affaire de mensonge. Dans tous les cas, la pellicule fixe du rêve. Le rythme et le temps y ont leur importance. Entre cinéma et horlogerie, les passerelles et les liens sont nombreux. Désormais, les maisons horlogères rivalisent d’astuces ou de présence pour soutenir les productions, toujours plus gourmandes. Le placement produit fait partie du marketing et les contrats donnent lieux à des transactions phénoménales. Mais il ne faut pas passer à côté de quelques belles histoires dont la magie du cinéma a le secret. Rencontres, hasards, coïncidences : la réalité dépasse parfois la fiction.

Jaeger-Lecoultre en coulisses
La Grande Manufacture aime le cinéma et ne s’en cache pas. Partenaire horloger de très nombreux films et de plusieurs acteurs, la marque suisse est aussi l’un des principaux soutiens du festival du film de Venise. Mais c’est aussi en coulisses et plus discrètement que Jaeger-LeCoultre oeuvre pour les amoureux du septième art, en soutenant activement plusieurs programmes culturels tournés vers la photographie, un autre de ses penchants artistiques. Une manière élégante de mettre en valeur non seulement les acteurs, mais aussi les réalisateurs, les photographes et les techniciens.

Ainsi, lors du dernier Festival de Cannes, l’exposition « L’Art des Coulisses », conçue et produite par Finch & Partners, a été une nouvelle occasion de montrer une sélection d’images réalisées par les photographes de plateau parmi les plus accomplis. Une belle manière de faire quelques arrêts sur image, pour le plaisir de se remémorer l’âge d’or du cinéma.


Montre à l’identité masculine très forte, la Portugaise d’IWC Schaffhausen a connu le succès auprès des femmes de manière inattendue grâce à Sophie Marceau.

Sophie Marceau à l’heure de la portugaise
Jérôme Salle ne s’y attendait certainement pas. En tournant son film policier Anthony Zimmer, présenté sur les écrans en 2005, le réalisateur choisit par pur goût personnel de doter Sophie Marceau d’une Portugaise d’ IWC. Montre masculine, en acier et à la large ouverture de cadran, elle rappelle le lien entre la mystérieuse Chiara (Sophie Marceau) et Anthony Zimmer (Yvan Attal), recherché par toutes les polices et surtout par l’enquêteur Akerman (Samy Frey).

Il ne se doutait pas que la montre ferait sensation et marquerait une relance dans la carrière à succès de la Portugaise en France, en faisant soudain de cette « grande » pièce masculine une montre convoitée par les femmes. Du coup, IWC commercialisa une série limitée à seulement 38 exemplaires et numérotée d’une Portugaise « Anthony Zimmer » (réf. 3714 G). Elle était réservée au marché français uniquement, mais ces montres sont désormais recherchées dans le monde entier, surtout par des collectionneuses.


Arnold Schwarzenegger, alias Terminator, et l’incassable Royal Oak Offshore T3 créée par Audemars Piguet.

Quand Terminator prend soin de sa Royal Oak
Arnold Schwarzenegger est un amateur de la Royal Oak. L’acteur et homme politique les collectionnent et a fait figurer plusieurs fois ses montres personnelles dans ses films. Pour la production de Terminator 3, en 2003, il demande à Audemars Piguet de concevoir une montre très spéciale. Les équipes créatives de la manufacture élaborent une Royal Oak Offshore à la mesure du personnage, avec notamment les poussoirs de chronographe protégés. Une pièce spectaculaire et évidemment de prix. Or, Terminator étant un robot futuriste animé par un ordinateur, et revenant dans le passé entièrement nu, il ne porte pas de montre bracelet.

Avec le soutien de la manufacture suisse, les scénaristes écrivent une scène dans laquelle le robot, joué par l’acteur Arnold Schwarzenegger, trouve la montre dans une voiture et jette un coup d’oeil à son cadran pour s’assurer que son horloge interne électronique est bien à l’heure. Pour un robot tueur, l’usage de la montre s’arrête-là et, machinalement, lors de la première prise, l’acteur jette spontanément la montre par la fenêtre pour s’en débarrasser. François-Henri Bennahmias, président d’Audemars Piguet, ne peut que faire un bond. Un tel geste ne serait évidemment pas idéal pour une telle montre. Non seulement pour son mouvement, en dépit d’un boîtier antichoc particulièrement résistant, mais aussi pour son image. Il suggère alors à l’acteur, avec lequel il a tissé au fil des années une relation de confiance, de réécrire la scène. À l’écran, la montre ne sera pas la victime du terrible robot T-X, puisqu’il la replace dans la boîte à gants. Ouf, sauvée.


Brad Pitt a craqué pour L’Orienteering de Terra Cielo Mare, au point de la porter dans son film World War Z, et de la garder pour sa collection personnelle de montres.

Brad Pitt entre terre, ciel et mer
La jeune maison italienne TCM (c’est-à-dire Terra Cielo Mare) peut croire en sa bonne étoile. En 2011, une élégante femme blonde entre dans une boutique distribuant la marque et, séduite, fait l’acquisition de 7 exemplaires de la montre Orienteering. Quelques mois plus tard, Emilio Fontana et Giorgio Lattuada, fondateurs de la marque horlogère en 1999, basée à Varèse au Nord de Milan, ont le plaisir de découvrir leur création sur grand écran. Dans le film à succès World War Z, Brad Pitt porte l’Orienteering, et se sert de son système de calcul par boussole. Par quel miracle ? La mystérieuse acheteuse n’était autre que la chef costumière Mayes C. Rubeo, l’une des plus influentes d’Hollywood. Brad Pitt est devenu tellement fan de la montre, qu’il en possède même plusieurs dans sa riche collection personnelle.


Steve McQueen a fait, après coup, le succès de la Monaco en la portant Le Mans, notamment pour ressembler à son ami, le pilote Jo Siffert, lui-même proche de Jack Heuer

Jack Heuer au mans sans Steve McQueen
Une grosse colère a bien failli tout annuler. Lorsque Steve McQueen découvre une montre Heuer Monaco, similaire à la sienne, au poignet d’un cameraman, pendant le tournage du film Le Mans, il se fâche et refuse de continuer à porter le chronographe. Il ne peut évidemment s’agir d’une coïncidence, cette montre étant à l’époque confidentielle. Elle est victime de son manque de succès. Jack Heuer, dirigeant de la marque éponyme de 1958 à1982 et actuel président honoraire de Tag Heuer le rappelle volontiers aujourd’hui : « C’est parce que la Monaco ne se vendait pas bien, contrairement à nos autres montres, que j’ai pu en donner plusieurs d’un coup pour le film de Steve McQueen ». Les montres à l’écran ne sont pas le fruit de contrats de placements produit à l’époque. Mais de relations que les agents commerciaux arrivaient à tisser avec les équipes, les réalisateurs ou les costumiers. À ce jeu, le décorateur Don Nunley était un champion. En juin 1970, il est nommé property master sur le film Le Mans. Évidemment, avec ce film dédié à la course automobile, Jack Heuer flaire le bon coup. « J’ai même été aidé par la chance car Steve McQueen, pour préparer le film, s’était lié d’une très grande amitié avec Jo Siffert (l’un des deux pilotes professionnels engagés pour entraîner Steve McQueen, l’autre étant Derek Bell, NDLA). Au point de vouloir lui ressembler pour rendre son personnage crédible, avec la même combinaison, sur laquelle était cousu notre insigne car nous fournissions les montres de Jo Siffert en course. Essentiellement des chronographes Autavia. Steve McQueen a dit : « Je veux être comme Siffert ». Cela voulait donc dire aussi avec une de nos montres. J’ai été appelé en urgence. Il fallait faire parvenir au moins 5 montres du vendredi pour le lundi suivant. À cause de la douane et des papiers, c’était impossible par la voie normale. Alors j’ai envoyé un collaborateur en voiture pour qu’il passe les montres sans rien dire. Mais il s’est fait prendre. Nous avons dû payer la douane. De peur de perdre les montres, j’ai donné des Monaco. Elles n’avaient pas vraiment de succès à l’époque. Finalement, les Monaco étaient là pour le tournage et Steve McQueen en a porté une. Vers la fin du tournage, il n’était pas question de reprendre les montres car elles n’avaient pas été déclarées en Douane et ne pouvaient donc revenir en Suisse. Don les a offertes aux techniciens et Steve McQueen s’en est rendu compte. Il était furieux car il se méfiait beaucoup de l’utilisation de son image. ».

L’acteur se laisse finalement convaincre de ne pas remplacer la Monaco par sa propre montre, une de ses Rolex, afin de ne pas compromettre les raccords à l’image. La production du film ayant connu de nombreuses et coûteuses péripéties. Jack Heuer, voulant lever le malentendu et s’excuser, demande alors à rencontrer l’acteur, qui est aussi le producteur du film. Ce dernier finit par accepter et envoie même son avion privé personnel chercher Jack Heuer à Paris pour le rejoindre, à l’heure du déjeuner, sur le plateau du tournage dans la Sarthe. « Mais quand je suis arrivé, on m’a dit qu’il n’était pas là », confie Jack Heuer. La star a préféré partir faire de la moto dans la campagne avec son fils Chad. Cela semble incroyable aujourd’hui, mais, finalement, Jack Heuer n’a jamais rencontré Steve McQueen. Peut-être le regrette-t-il parfois, tant l’image de l’acteur aura finalement permis le succès de la Monaco. Même si à l’époque, il fut très heureux de déjeuner en tête-à-tête avec la ravissante actrice allemande Elga Andersen.


Coup de coeur sur le tournage de Survivor. Pierce Brosnan y est un espion se servant d’un atelier d’horlogerie comme couverture. Il y a rencontré Peter Speake-Marin, et aimé ses montres. Ici une Serpent Calendar, typique des créations de l’horloger indépendant anglais.

Speake-Marin, l’horloger acteur
Finalement, ils se sont connus comme dans un film. Depuis plusieurs années, une amitié durable unit l’acteur d’origine irlandaise Pierce Brosnan et le maître horloger indépendant anglais Peter Speake-Marin. « J’ai rencontré Peter sur le tournage d’un film (Survivor de James McTeigue, NDLR), en tant que consultant pour le rôle d’un horloger que je jouais. Nous avons brièvement parlé : nous aimons tous deux notre métier et en tant que grand amateur d’horlogerie, j’apprécie sa véritable passion et ses créations. J’ai acquis une de ses montres et nous avons gardé contact. Lorsque Peter m’a demandé d’être l’ambassadeur de sa marque, la réponse fut simple », raconte Pierce Brosnan.

Présent sur le stand de l’horloger lors du dernier SIHH de Genève, l’ex-James Bond a fait sensation. Une publicité inespérée pour une maison indépendante comme Speake-Marin. Le créateur, qui prête le concours de ses mains expertes pour doubler Pierce Brosnan dans les scènes d’horlogerie, rappelle volontiers d’ailleurs que l’acteur a commencé par lui acheter une montre car il avait été séduit par ces pièces d’exception, réalisées dans les règles de l’art, et aux références évocatrices des anciens chronomètres de marine. Un univers auquel a succombé l’homme élégant qu’est Pierce Brosnan pour ses apparitions à la ville quand il est libéré des contrats des plateaux.


Rudolf Valentino aimait tellement sa Tank qu’il refusa de la quitter sur le tournage de Le fils du Cheik (1926). L’illustrateur tricha pour l’affiche, corrigeant cet nachronisme par un bijou.

Une tank en avance sur son temps
Vedette du muet admirée, Rudolf Valentino était un séducteur. Connu pour son extrême raffinement à la ville, l’élégant apparaissait drapé de costumes à la coupe parfaite et d’accessoires choisis. Sa montre Tank de Cartier faisait partie de ces parures rares et précieuses. L’acteur était si fier de sa montre, qu’il ne la quittait guère. Ainsi, en 1926, sur le tournage du film Le fils du Cheik, garde-t-il au poignet le précieux garde-temps rectangulaire, avec son costume orientaliste.

Impossible de le faire changer d’avis. Si bien que pour l’affiche, l’illustrateur devra tricher en dessinant un bracelet manchette tout en or. Pourtant, c’est bien la montre qui crève l’écran. On ne voit qu’elle. Non seulement parce qu’elle est encore rare à l’époque, mais surtout parce qu’elle est un anachronisme flagrant. Cet ultime film de Rudolf Valentino, disparu quelques semaines avant sa sortie, serait-il passé à la postérité sans la montre Cartier ?


Découvrant la montre futuriste Hamilton Pulsar P2 2900 LED au poignet de Roger Moore dans le film de James Bond, Gianni Agnelli l’adopte et en fait un de ses éléments de style.

Quand Agnelli faisait mieux que James Bond
Quel est le point commun entre l’industriel italien Gianni Agnelli et l’acteur anglais Roger Moore ? Une montre, bien sûr. Avec audace, ces deux amateurs de belles mécaniques horlogères attachent à leurs poignets, au tournant des années 70, une montre futuriste pour l’époque : une Hamilton Pulsar P2 2900 LED. Digitale, elle affiche l’heure de manière lumineuse dans un boîtier de forme inspiré des vaisseaux spatiaux. Une montre futuriste et branchée, comme un ordinateur au poignet. L’Avvocato confessa plus tard que c’est en découvrant la montre sur Roger Moore, alias James Bond, dans Vivre et Laisser Mourir (1973) qu’il en avait eu terriblement envie. Un placement produit très réussi, et bien avant l’heure. Depuis, Hamilton est devenue l’une des maisons les plus proches des productions, non seulement de cinéma mais aussi de télévision.

En effet, dans de nombreuses séries et fictions figurent ces montres. L’un des secrets, c’est la banque de prêt permanent et très facilement accessible aux costumières et décorateurs mise en place par la marque. En France, par exemple, Hamilton dispose de nombreux modèles pouvant être confiés à tout moment. Une politique volontariste et généreuse qui porte ses fruits, sans pour autant devoir mettre en place des contrats vertigineux. Mais l’horloger aux racines américaines est aussi très actif pour soutenir des superproductions. Hamilton a commencé à collaborer avec Hollywood en 1951 pour le film Les Hommes-grenouilles, nommé aux Oscars. La marque a continué à travailler avec les réalisateurs et les accessoiristes, leur fournissant des montres capables de refléter l’image voulue pour leurs personnages. La Ventura a ainsi été rendue célèbre non seulement par Elvis Presley, mais aussi par les films de la saga Men in Black. Les partenariats de la marque avec les films 2001 : l’odyssée de l’espace et Interstellar figurent aussi parmi les plus notables. Hamilton a célébré ces deux films emblématiques en créant une montre particulièrement avant-gardiste, l’ODC X-03. La montre de Matt Damon, lorsqu’il se retrouve Seul sur Mars, une Hamilton BeLOWZERO, en est un autre exemple. Des montres aussi futuristes que la fameuse Pulsar popularisée par Gianni Agnelli. Grâce à son style personnel, et arborant la montre sur son poignet de chemise, l’Avvocato fit finalement bien plus pour le succès de cette montre en Italie que James Bond lui-même.

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