Les Anglais débarquent

Douze montres. Douze marques. Un design militaire fondateur. Les montres de collection « The Dirty Dozen » incarnent la tendance vintage actuelle : authentique, chargée d’histoire et accessible.

||THE DIRTY DOZEN

Les enchères horlogères sont marquées par les records. Les montants ahurissants atteints par certaines Patek Philippe et Rolex masquent un marché actif sur bien d’autres marques, prix et phénomènes. Comme les chronographes Heuer des années 60 et 70, les Tudor Submariner, de nombreuses Universal et les chronographes Longines de type CH30. En effet, à force de promouvoir une esthétique vintage, en particulier dans la catégorie sport, les marques de montres neuves ont donné au public le goût… de l’original.

La vogue marquée des montres militaires a redonné un coup de jeune à une série d’anciennes combattantes, très prisée dans certains cercles, connue sous le sobriquet de « The Dirty Dozen ». De leur vrai nom W.W.W. ou Wrist Watch Waterproof, il s’agit d’une commande du Ministère de la Défense (MoD) britannique vers la fin de la Seconde guerre mondiale.

Cette montre en dotation a fait l’objet d’un appel d’offres sur la base d’un cahier des charges (comme la Type XX), auquel douze marques suisses ont répondu. Certaines sont connues et existent encore, comme Longines, IWC ou Jaeger-Le-Coultre. D’autres sont connues et défuntes, comme Buren ou Lemania. Les dernières n’ont pas traversé les âges, comme Record ou Cyma.

Une typologie militaire

THE DIRTY DOZEN
C’est ainsi que les collectionneurs les surnomment, en référence au film de guerre éponyme sorti en 1967 (titre français, Les Douze Salopards).

En cela, leur histoire ressemble à celle du film qui leur a donné leur surnom à ces montres. En effet, The Dirty Dozen est le titre original de Les Douze Salopards, film de 1967 où douze repris de justice militaire sont envoyés en mission quasi suicidaire en territoire nazi. Évidemment, seule une poignée en sort indemne. Ces douze marques ont toutes livré, en quantités variables, des montres presque identiques. On ne leur demandait pas un exercice de création, mais l’exécution d’instructions très précises. Les montres devaient présenter :

  • Un boîtier en acier inoxydable étanche.
  • Un verre incassable.
  • Un cadran noir, ponctué de chiffres arabes, luminescents tout comme ses index, et marqué de la Broad Arrow. Cette flèche stylisée est le symbole des objets appartenant à la Couronne.
  •  Un mouvement avec petite seconde, anti-magnétique et robuste, capable de se régler au niveau chronomètre.

Montées sur des bracelets en tissu vert militaire, elles étaient destinées à être offertes en dotation aux troupes. Mais les quantités livrées, estimées à environ 150 000 unités en tout, ne permirent de les attribuer qu’aux soldats en ayant le plus besoin. En premier lieu, des officiers de communication et d’artillerie. Au final, les quelques différences esthétiques portent sur la forme des aiguilles, sur le diamètre qui varie de 35 à 38 mm, sur les finitions de la minuterie de petite seconde et quelques détails de boîte.

Dernières minutes de repos pour ces soldats avant le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944. Chacun a reçu une montre de type W.W.W.

Une histoire glorieuse

L’intérêt de ces montres provient du fait qu’elles ont vu le combat. Qu’elles ont une vraie histoire, sans polémique et glorieuse. Qu’elles sont au goût du jour. Il ne faut pas négliger non plus l’effet de verticale. Comme pour les collectionneurs de vin, certains amateurs de montres veulent l’entièreté d’une famille, d’un ensemble. En l’espèce, la douzaine au sens propre. Dernier avantage, elles sont plutôt abordables. Il faut compter entre 1 000 et 6 000 € pour s’en offrir une, avec des différences de marque à marque.

Avec un stock initial de 150 000, il en reste pas en circulation, souvent sur le territoire britannique. Les caractéristiques faisant varier la cote sont intéressantes. D’abord, ce ne sont pas les marques les plus prestigieuses qui sont les plus chères. Omega ne brise pas le plafond, en ayant produit autour de 25 000. La plus rare et cotée est la Grana, alors que ce nom est tombé dans l’oubli. Les dernières en date se sont échangées autour de 6 500 € chez Watches of Knightsbridge, une maison d’enchères londonienne. Et Longines et Lemania, qui fabriquaient probablement les meilleurs mouvements de l’époque, n’en retirent pas de bénéfice particulier.

THE DIRTY DOZEN
Ffilm de guerre éponyme sorti en 1967 (titre français, Les Douze Salopards).

Des rééditions accessibles

Le contrat du Ministry of Defence intégrait une grosse composante réparation. Les montres sont généralement en bonne condition. Les Dirty Dozen n’ont pas manqué de pièces de rechange et celles qui ont survécu au feu ont encore servi. Certaines ont été gardées par les soldats, d’autres revendues à d’autres nations. Elles ne sont pas tombées aux oubliettes des ateliers horlogers, comme en témoignent les marquages de date au dos des montres, qui suivent le cycle des réparations. Par conséquent, elles ont parfois subi des traitements qui les ont dénaturées.

Il faut donc surveiller l’homogénéité cadran/aiguilles/mouvement/numéro de série, comme toujours avec des montres anciennes, où le recyclage est la norme. Le phénomène de la collection Dirty Dozen a commencé à apparaître clairement avec le lancement par IWC de sa Mark XVIII « Tribute to Mark XI ». Le modèle livré par la marque de Schaffhouse avait été baptisé Mark X, selon sa propre nomenclature. Elle a donné lieu à des évolutions dont, justement, la Mark XI. Puis une des douze marques d’origine a refait surface.

Vertex a été repris par un entrepreneur britannique et propose des rééditions très proches mais bien sûr aux finitions et détails modernisés. Et depuis longtemps, Hamilton propose ses Khaki Field qui, sans petite seconde et avec des principes de cadran différents, livrent un état d’esprit quasi identique. Le succès du vert kaki, du vintage, des bracelets en toile NATO, les hipsters, la spéculation, la quête de nouvelles montres plaisir ont donc donné lieu à un beau succès en salles (d’enchères, pas de cinéma). Et comme avec les films de légende, il y a eu remake.

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