Le phénomène denim

Le jean est partout. Indémodable depuis 165 ans, il transcende les générations et les cultures en se réinventant sans cesse. Pourquoi un tel succès ? Quel est son secret de longévité ?

Il n’y a pas une saison sans que l’on parle du « grand retour » du jean. Pourtant, depuis sa création en 1870, était-il déjà parti ? Non, jamais. Il s’en vend 60 paires toutes les secondes… 1,9 milliard par an. C’est le pantalon le plus vendu sur la planète. Il ne cesse d’être en croissance depuis 10 ans, c’est même le secteur le plus dynamique de l’habillement. Tout le monde porte un jean quel que soit son âge, sa morphologie, son sexe, son milieu social, sa culture, son pays – sauf en Corée du Nord où ce symbole américain est interdit.

En à peine 165 ans 

Le jean est universel. En à peine 165 ans, le vêtement de travail des chercheurs d’or et des cowboys américains s’est imposé dans le monde entier. Il évolue au grès des tendances. Tantôt baggy, tantôt slim, troué, raw, délavé, décoré, il joue avec ses nuances bleutées pour que les enfants d’aujourd’hui ne portent pas les jeans d’hier. Ou alors ceux de leurs grands-pères, à en juger par cette mode du jean taille haute très clair des années 80.

Le jean anobli

Sur les podiums, c’est une autre histoire. Hans de Foer de l’IFM parle de « cycles » pour décrire l’intérêt des designers pour la toile sergée. Et il y a eu des cycles avec et des cycles sans. Dans les années 80, le jean est la star des podiums avec de nouveaux procédés de délavage. Puis dans les années 90, on assiste au retour du brut. Dans les années 2000, sous l’influence d’Hedi Slimane et de sa mode ultra fittée, c’est l’arrivée du slim… Puis plus rien… Et là, en 2018, devinez ?

Costume en jean 3 pièces

« C’est le grand retour du denim », assure Hans de Foer. On pourrait même ajouter « le retour du denim chic » (l’arrivée ?), loin très loin de son image de cowboys ou de bikers en Harley. « Sous l’impulsion de jeunes maisons comme Sacai, Off-White, Faustine Steinmetz ou encore Facetasm qui s’expriment à travers cette matière sans hésiter à en mélanger les codes, les grands noms de la mode se le réapproprient », constate le spécialiste. Ainsi Dior Homme lance ce printemps sa collection denim en réinventant le traditionnel costume masculin version indigo. Un mélange de style qui ne sera pas sans déplaire à Andrea Incontri, le directeur artistique de Tod’s. Lui l’a imaginé, pour cet été, en version 3 pièces délavé et même imprimé sur le cuir de vestes et de chaussures. L’effet trompe-l’oeil est bluffant et le denim devient tout à coup une caution luxe.

Dans les années 50-60, le jean s’offre une aura glamour. Il est porté par les grandes stars hollywodiennes comme John Wayne, Marlon Brandon ou James Dean. Lorsque c’est Marilyn qui l’enfile, il prend une dimension ultra sexy et s’impose auprès des femmes. Il devient un symbole d’émancipation.

L’hiver prochain, Dolce & Gabanna le décline en mode patchwork sur une luxueuse pelisse. Et Dunhill le voit en total look raw, ultra chic sous un manteau classique. Les tailleurs n’échappent pas à la déferlante denim, en le sortant, là encore, de sa zone de confort avec des costumes ou des vestes qui subliment la matière (voir l’article Le jean en mesure). Pourquoi un tel succès ? Comment expliquer que le jean parle à autant de personnes, à autant de styles et de modes ? Il ne peut être seulement le reflet de la mondialisation et de l’uniformisation des cultures.

La Fureur de Vivre

« Le jean cumule énormément de cartes », concède Hans de Foer. La première, son histoire ; il en est chargé. Son imaginaire se nourrit des plus grandes périodes de l’Occident. La ruée vers l’or, la conquête de l’Ouest et les cowboys, la Seconde Guerre mondiale, le cinéma et ses vedettes hollywoodiennes, Marlon Brandon, James Dean et son look rebelle dans La Fureur de Vivre, la libération sexuelle ainsi que tous les mouvements contestataires et contre-culture : des punks, skinheads, grunges, rastamen aux rappeurs… Icône pop, on le retrouve sur Bob Marley, Kurt Cobain, Serge Gainsbourg et sur les toiles d’Andy Warhol, Basquiat ou Peter Blake.

Une charge érotique

Le jean a de multiples facettes. Mais à lui tout seul, il évoque la liberté, le cool, l’évasion. « Une révolution individuelle », écrira Josh Sims dans l’Éternel Masculin. « Il symbolise une quête de l’émancipation autant féminine que masculine, explique Émilie Coutant, sociologue de la mode ayant notamment étudié la charge érotique que la toile denim incarne. C’est comme une seconde peau. Il n’y a pas un objet de mode qui soit aussi intime avec l’individu qui le porte que le jean. » Et d’ajouter : « Il est surtout un incontestable signifiant sexuel en soulignant de façon très saillante les fesses. Le jean met en relief les formes […] Il révèle au monde extérieur le rapport qu’on entretient à son propre corps. »

Mais le jean a aussi un aspect technique qui fait de lui une matière magique. Ce n’était pas un hasard si Yves Saint Laurent disait : « Je n’ai qu’un regret, ne pas avoir inventé le jean ». Comme le cuir, c’est la seule matière qui embellit avec le temps. Ultra résistant, ce sergé de coton indigo se patine, imprimant autant les plis de notre corps que ceux de nos modes de vie. Il devient alors pièce unique. « C’est aussi un support de recherche et d’innovation permanent et inépuisable », précise Hans de Foer. L’introduction du stretch, les délavages, les textures de plus en plus douces, etc. sont autant de possibilités que d’ouvertures à la créativité. Franck Zins, de la maison éponyme, un des derniers pantaloniers, va plus loin. Selon lui, le jean, « a eu beaucoup d’influences sur l’évolution des pantalons masculins depuis une vingtaine d’années. »

Son côté « sanglé » bien ajusté loin du confort flottant d’un pantalon, serait à l’origine des coupes beaucoup plus près du corps et des jambes étroites des pantalons actuels. Il faut dire qu’aujourd’hui, le jean est l’uniforme de l’homme contemporain, même parfois au bureau. Une pièce facile à vivre qui transcende autant les looks que les générations. « Il sait s’adapter à chaque époque, conclut Pascaline Wilhelm de Première Vision. Comme si le jean avait en lui l’énergie de la jeunesse. »

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