La Grande Guerre dans nos vestiaires

En raison de la violence des combats et surtout de pertes humaines colossales, la première Guerre mondiale a été le laboratoire pour la création de vêtements moins compliqués et plus pratiques. Des vêtements dont nos garde robes ne peuvent plus se passer aujourd’hui. À l’occasion du centenaire de son Armistice, Monsieur fait l’inventaire de cet héritage précieux.

Soldats francais a la gare de Dunkerque en partance pour le front, 1914 --- French soldiers at a train station in Dunkerque, France. Photograph, 1914.

C’est l’une des guerres dont on trouve encore au XXIe siècle des vestiges d’uniformes et de matériels dans les greniers, vestiges dont la mode ne cesse de s’inspirer. Que reste-t-il au fond de la Grande Guerre dans nos vestiaires ? Le camouflage ? Les prémices sont bien là.

Un premier prototype de veste à motifs camouflée voit le jour dès 1914 sous le pinceau de Louis Guingot mais il ne sera pas retenu. Le bleu horizon qui se fond dans le paysage remplacera dès 1915 la tenue militaire du soldat, le rouge garance ayant déjà fait suffisamment de dégâts… Le trench-coat ? Indéniablement. On peut même affirmer que ce modèle iconique fait désormais partie des indétrônables du vestiaire masculin.

La capote de Paul Poiret

Tout autant que le British Warm, prélude à l’indispensable manteau d’hiver. On lui doit aussi l’essor de la montre-bracelet et l’apparition de quelques accessoires, bien ancrés aujourd’hui dans le dressing de l’homme moderne, telles que la cravate tricot, résultante de l’effort de guerre ou encore l’écharpe de soie, de pair avec les débuts de l’aviation.

La capote, ou manteau militaire, la tunique, la vareuse, les brodequins, les pattes d’épaules, les poches à soufflets, la martingale… beaucoup d’éléments sont déjà là. Ils puisent leurs sources dans le civil, les guerres antérieures, les conquêtes coloniales… Le ministère de la Guerre fera même appel au célèbre couturier en vogue Paul Poiret pour dessiner une nouvelle capote à partir du modèle créé en 1877.

Un laboratoire expérimentale
Plusieurs modèles sont ébauchés par le couturier avant d’en arriver à une coupe simplifiée du manteau militaire doté d’une simple croisure afin d’économiser du textile et du temps de fabrication, regroupant tout en un les points positifs des modèles 1877 et Poiret. La version définitive portée par les fantassins ne sera adoptée qu’à l’automne 1916.

« Ce qu’il reste de cette guerre, si l’on doit parler d’une histoire du vêtement et de la mode, explique l’auteure d’une grammaire du vêtement occidental, c’est qu’elle a servi de laboratoire expérimental pour se diriger vers des vêtements et accessoires moins compliqués, plus pratiques, plus intelligents, plus confortables et plus sécuritaires. On a hélas été amené à réfléchir sur tout cela en raison de la violence des combats et du nombre de pertes humaines… »

Faut-il rappeler que près de dix millions de soldats ont péri durant cette « sale » guerre ? Par-delà ses conséquences dramatiques, à l’occasion du centenaire de l’armistice, Monsieur s’interroge sur ses principaux apports dans notre garde-robe contemporaine. Et ils sont nombreux ! Revue en détails.

LES PRÉMICES DU « CAMOUFLAGE » : DE L’ART ABSTRAIT À LA GUERRE

Si l’on revient à l’origine du camouflage, on constatera que c’est grâce au travail d’artistes qu’il est né pendant la Première Guerre mondiale. À cette époque, l’état-major français préférait dissimuler son artillerie plutôt que les fantassins qui battaient les tranchées en pantalon rouge garance (tout sauf discrets) puis, à partir de 1915, en uniforme « bleu horizon », étudié pour se fondre « dans l’horizon ».

« Il ne s’agit plus de faire peur avec un uniforme impressionnant mais de disparaître grâce à une tenue qui se fond dans le paysage », explique l’historienne Cécile Coutin dans son livre Tromper l’ennemi. L’invention du camouflage moderne en 1914-1918 (éditions Pierre de Taillac).

Les Allemands, quant à eux, ont déjà adopté la couleur vert-de-gris dit « Feldgrau » et les Anglais le vert kaki dit « couleur poussière » dont l’origine remonterait à 1846, date à laquelle un lieutenant-général britannique en mission en Inde teint son uniforme avec un liquide à base de boue et de plantes.

En France, dès février 1915, sous l’impulsion du peintre Victor-Lucien Guirand de Scevola, une formation spéciale, composée entre autres de peintres et de sculpteurs, est créée pour développer ces techniques de dissimulation et de trompe l’œil.

On les appelait les « Camoufleurs », leur insigne était un caméléon et parmi eux, on compte notamment Paul Landowski, Jean-Louis Forain, Loÿs Prat ou encore Fernand Léger dont l’inspiration cubique permettait de déformer la réalité et donc de brouiller les formes.

SELON LA TECHNIQUE DES IMPRESSIONNISTES En 1914, l’artiste peintre Louis Guingot invente le pointillisme, le premier prototype de veste camouflée du monde.

Si ce sont les Allemands qui les premiers utilisèrent le camouflage individuel (1918), en France, le premier prototype de veste bariolée – baptisée la tenue Léopard en raison de ses taches éparpillées – vit le jour dès 1914. C’est le peintre de l’école de Nancy, Louis Guingot, qui l’inventa en empruntant 3 couleurs à la nature qu’il appliquera selon la technique des impressionnistes, le pointillisme.

Elle ne fut pas retenue à l’origine par l’armée française pendant la Grande Guerre. Mais, son concept servit aux travaux des Camoufleurs d’artillerie. Elle est améliorée pendant la Seconde Guerre avant de se généraliser dans toutes les armées du monde. Elle est actuellement exposée au musée historique lorrain de Nancy. Aujourd’hui, le camouflage est partout, sur les podiums comme dans toutes les garde-robes, dans un nombre incalculable de combinaisons.

Un indémodable qui se renouvelle saison après saison. « Il n’y a pas plus contemporain comme imprimé, il ne vieillit pas, lance Jean- Charles de Castelbajac. C’est l’imprimé le plus hype et le plus transgénérationnel qui soit. »

L’IMPRIMÉ LE PLUS HYPE
La mode masculine ne cesse de réinterpréter le camouflage, un motif aux mille et une déclinaisons. Certains créateurs le détournent en le rendant chic (Dries Van Noten, 2013) quand d’autres lui laissent son allure militaire. C’est le cas de la marque so hype Vetements, qu’on croirait, ici (collection 2017), tout droit sortie des rangs de l’armée. Quant à Pharrell Williams, il le porte même sur ses smokings.

LA MONTRE-BRACELET : DE LA POCHE AU POIGNET

C’est précisément dans les tranchées qu’elle va naître. « Pour deux raisons, explique le commissaire-priseur Vincent Pestel-Debord. La première, elle est sécuritaire. Viser la poitrine d’un soldat, à l’endroit même où l’on place généralement une montre-gousset peut engendrer de graves blessures si la montre vient à exploser.

La seconde est fonctionnelle. Difficile en effet d’extirper cette dernière en zone de combat quand on est déjà encombré de tout un barda. » Au départ, il ne s’agit que d’une montre de poche « reconvertie » en quelque sorte – « les Anglais et les Américains sont les premiers à avoir considéré la montre comme un outil militaire qui doit faire partie du paquetage de soldat ».

D’abord insérée dans un étui en cuir prolongé d’une épaisse lanière laissant apparaître le cadran, elle adoptera des arceaux, ou anses, pour y glisser un bracelet. Le bouton poussoir est alors déplacé de 45°, et une grille s’installe sur le cadran pour protéger le verre des éclats. C’est aussi durant la Grande Guerre que l’aviation prend son envol.

Les instruments de mesure et de temps placés dans les cockpits vont inspirer les premiers chronographes. La mode va alors s’emparer de la montre-bracelet, tout comme le cuir va faire sa petite révolution. Vacheron Constantin, Omega, Ulysse Nardin, Jaeger-LeCoultre… seront les premiers à s’engouffrer dans la brèche.

LE TRENCH-COAT : « A GENTLEMAN’S BEST FRIEND »

C’est bien Thomas Burberry qui a inventé ce classique indétrônable du vestiaire masculin. Devenu une icône des films noirs, il sera vite adopté par le tout-Hollywood – Humphrey Bogart, Marlène Dietrich, Audrey Hepburn, Woody Allen… rappelez-vous. La création du célèbre motif à carreaux en 1924 ne fera que renforcer sa popularité.

La mode s’en est aujourd’hui bel et bien emparée. Avant de le transformer en 1914 en trench-coat ou « manteau de tranchée », Thomas Burberry avait d’abord inventé en 1879 la gabardine, une étoffe hydrofugée capable de résister aux mauvais traitements, au froid et à la pluie… – les Anglais dans ce domaine en connaissent un rayon. Thomas Burberry invente alors le Tielocken, un manteau résistant dans cette fameuse gabardine. Intéressé, le Ministère de la Défense lui en commande pour ses hommes engagés dans la guerre des Boers (1899-1902).

C’est en 1914 que ce manteau sera transformé en trench-coat pour équiper les officiers anglais de la Première Guerre mondiale. L’armée britannique en achètera 500 000. Parmi les accessoires spécifiques à ce manteau militaire, on retiendra les anneaux de la ceinture en forme de D servant à accrocher grenades, couteaux et autres petits matériels, les pattes sur les épaules ou bavolets pour protéger et fixer galons et insignes ainsi que les pattes de serrage aux poignets destinées à empêcher l’eau de s’infiltrer par les manches sur le champ de bataille.

Chaque détail de ce modèle iconique possède une fonction spécifique, contribuant à rendre cette pièce intemporelle et reconnaissable entre mille. Beige foncé à l’origine, le trench-coat Burberry se décline aujourd’hui pour homme et femme, dans plusieurs couleurs. 

Burberry – 2018

LE BRITISH WARM : LE MANTEAU DE SURVIE

British Warm

Ce grand manteau est porté pour la première fois vers 1914 par les officiers britanniques de la Première Guerre mondiale. Il doit son nom de « British Warm » au tissu en laine épais, chaud et durable, le Melton, au tissage très serré, recouvert d’un léger duvet qui rappelle le feutre, dans lequel il est confectionné, et à la couleur brune caractéristique.

Tissu lui-même originaire de la ville de Melton Mowbray dans le Leicestershire dans laquelle se trouvait Crombie, son manufacturier. De style croisé et à col à revers cranté, il est carré au niveau des épaules et cintré à la taille. « Les premiers British Warm possédaient plusieurs détails rappelant leur utilisation militaire, comme les épaulettes et les six boutons disposés en régiment.

Ils étaient plus courts – juste au-dessus du genou – et conçus pour être portés avec un jodhpur et des bottes d’équitation montant jusqu’au genou. Ils étaient également pourvus d’une ouverture juste au-dessus de la poche gauche pour laisser passer le pommeau de l’épée » écrit Dan Rookwood, rédacteur en chef de la version américaine du site Mr Porter.

Pour se protéger des intempéries, il était tout à fait courant de voir les soldats dormir dans ces manteaux chauds qui pouvaient s’avérer de véritables « life-saving coats ». Churchill l’adoptera durant la Seconde Guerre mondiale, le rendant immensément populaire. Il est l’incarnation parfaite du manteau d’hiver.

LE PARFAIT MANTEAU D’HIVER Dunhill en présente cet hiver une version cachemire qui a été teinte pour se rapprocher au plus près de la couleur brune traditionnelle du British Warm. Son intérieur minimaliste et non doublé le fait gagner en légèreté. Churchill en était un grand adepte. Ici à la conférence de Yalta en 1945 avec une version beige de chez Crombie.

LA CRAVATE TRICOT DES MILITAIRES BRITANNIQUES : « KNIT FOR VICTORY* »

L’effort de guerre mobilise toute la société. En Angleterre, les femmes – mais pas seulement –, sous l’impulsion de la Croix Rouge, sont mises à contribution dans les travaux de couture ou encore la confection de tricots en laine.

Pulls, cardigans, chaussettes, bonnets, cagoules, écharpes, gants… mais aussi cravates pour compléter l’uniforme khaki des officiers, des milliers de femmes se mettent à tricoter. La cravate tricot a depuis fait sa révolution.Une collection de cravates digne de ce nom doit obligatoirement s’étoffer d’une cravate tricot, qu’elle soit en tricot de laine, de lin, de coton, de soie… Jean d’Ormesson ne quittait jamais la sienne, de couleur bleu marine.

Celle de Macron est en grenadine de soie (comme celle de Sarkozy…). Son tissage aéré lui confère une grande tenue, particulièrement appréciée pour la perfection des nœuds qu’il permet de réaliser.

Cravate tricot

L’ÉCHARPE D’AVIATEUR EN SOIE : L’ACCESSOIRE DE HAUT VOL

Sergent de la Royal Air Force James Ginger Lacey

Eh oui, l’écharpe de soie faisait partie intégrante de l’habit des pilotes de la Première Guerre mondiale. Elle était le plus souvent blanche. En 1914, à peine 11 ans après le premier vol motorisé de la planète, les avions sont réquisitionnés pour la guerre. Bombardement stratégique, reconnaissance aérienne, détection de zeppelins ennemis… les pilotes prenaient place dans des avions aux moteurs encore rudimentaires, dans des carlingues ouvertes aux éléments et au vent qui soufflait dans l’encolure des pilotes. La formation étant coûteuse, l’Armée, au tout début, ne formait pas ses pilotes. La plupart venaient de classes aisées. Ils y ont introduit leurs habitudes et leurs tenues.

L’écharpe de soie faisait partie des accessoires que beaucoup d’aviateurs portaient en tant que civils avant la guerre. Après son déclenchement, cet accessoire chic a servi à résoudre divers problèmes de vol et est devenu un élément essentiel de l’attirail militaire. Plutôt que de porter un col montant, qui aurait restreint les mouvements et la vue, les pilotes utilisaient leur écharpe de soie pour se couvrir le cou et se garder au chaud.

Écharpe en soie

La soie, contrairement à la laine ou au coton, – légère, durable, compacte et assez douce pour faciliter le mouvement et couper les courants d’air – empêchait le col de cuir de frotter le cou… On portait l’écharpe à l’intérieur du manteau, parfois fixée par une épingle. Elle servait aussi comme linge de nettoyage au cours des vols, par exemple pour essuyer les gouttes de pluie ou la condensation des lunettes, mais aussi l’huile que crachaient les premiers moteurs sur le visage.

On sait l’accessoire chic qu’elle est devenue au fil du temps. Et pas seulement pour accompagner un smoking – l’écharpe en soie blanche allait de pair avec le frac et la cravate blanche de rigueur le soir pour les mondains parisiens avant 14. Proust en était friand et les soirées mondaines peintes par Jean Béraud s’en font une parfaite illustration.


LE SAVIEZ-VOUS ?

LES CHEMISES BRUNES DES NAZIS

Les chemises brunes des Nazis provenaient de surplus militaires de la Première guerre mondiale, vendues à bas prix sur le marché allemand après la guerre et adoptées par la milice du Parti nazi, pour son faible coût et son style paramilitaire. Elles avaient initialement été confectionnées pour habiller les troupes de l’Empire colonial allemand, actif durant la Première Guerre mondiale, empire qui a été retiré à l’Allemagne à l’issue de cette dernière.

LE PANTALON ROUGE

Comment le pantalon rouge s’est-il immiscé dans le dress code du Bassin d’Arcachon ? Charles Daney, l’un des auteurs du tout nouveau Lexique Amoureux du Bassin d’Arcachon (éd. Cairn), raconte que les soldats de la guerre de 1870 portaient un pantalon en ratine – une matière qui protégeait du froid – de couleur rouge garance. Ce tissu utilisé en 1914 fut remplacé dès 1915 par l’uniforme bleu horizon. La base militaire d’Hourtin avait encore des quantités de tissu rouge en stock. Celui-ci fut récupéré par les ostréiculteurs pour s’en faire des vêtements de travail. Marins et vacanciers en villégiature, trouvèrent la couleur chic…


À LIRE

Grammaire du vêtement occidental

Grammaire du vêtement occidental en 4 tomes, de Mireille Tembouret, éditions Esmod.

  • Pardessus tout ! Tome 1, 144 pages, 35 €.
  • Culotté ! Tome 2, 128 pages, 35 €.

Codes, règles et caractéristiques du vêtement occidental passé au crible par cette spécialiste, ancienne enseignante à Esmod International Paris et fondatrice du Vestiaire, spécialiste dans la location de vêtements d’époque.

Les habits du pouvoir

Les Habits du pouvoir, par Dominique et François Gaulme, 280 pages, 175 illustrations couleur, éditions Flammarion, 60 €. C’est à une véritable épopée du vêtement d’apparat à travers les âges et les différents peuples de la planète que nous convie cet ouvrage, écrit par deux grands spécialistes.

Nous autres à Vauquois

Nous autres à Vauquois par André Pézard, éditions de La Table Ronde, 550 pages, 15 €. L’un des plus beaux témoignages de la Grande Guerre. Un calvaire de 18 mois pour défendre la butte de Vauquois superbement restitué par cet écrivain combattant, ancien professeur au Collège de France, disparu en 1984, à qui l’on doit la traduction des œuvres complètes de Dante aux éditions de la Pléiade.

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