La montagne à la ville

La majorité des marques de vêtements de ski n’attendent plus leurs clients en bas des pistes. Elles vont les chercher chez eux, en ville, et leur proposent des lignes plus urbaines dotées de toute la technicité des habits d’altitude.

Le créneau de Fusalp : le ski avec une approche mode. À moins que ce ne soit l'inverse.

Boulevard des Capucines, la culture ski flirte avec le macadam. Rossignol vient d’y ouvrir son premier flagship parisien. Un second point de vente devrait voir le jour à Saint- Germain-des-Prés. Depuis 2015, à côté de ses produits techniques pour le ski, la marque alpine plus que centenaire, s’est offert une nouvelle division entièrement dédiée au textile : Rossignol Apparel. Des tenues pour le froid adaptées au mode de vie urbain.

Le lancement a eu lieu pendant la fashion week de Milan. « L’élégance hivernale n’a pas de frontières, peut-on lire sur le dossier de presse de l’hiver 2019. Elle se porte désormais des pistes enneigées des plus hautes montagnes aux avenues fréquentées des plus grandes villes. » Comme Rossignol, la plupart des marques de vêtements de ski, n’attendent plus leurs clients à la descente des tire-fesses.

Depuis la réédition de ses doudounes des années 80, il y a 10 ans, Pyrenex s’impose de plus en plus en ville.

Plus esthétique, plus mode

Elles vont les chercher chez eux, en ville avec des produits plus esthétiques – plus mode mais qui conservent leur bel héritage technique. C’est le cas de Pyrenex qui ne cesse de s’implanter dans les grandes métropoles, particulièrement au Japon et en Angleterre. La marque landaise fête ses 160 ans cette année. C’est elle qui a notamment créé les premières doudounes en 1940. Des doudounes solidaires pour protéger du froid les prisonniers de guerre originaires de son village de Saint-Sever et qu’elle envoyait en Allemagne via la Croix Rouge.

« Notre histoire est authentique, explique Éric Bacheré, le directeur général. Nos produits en sont l’héritage, comme ils ont hérité des propriétés techniques, du confort et de la respirabilité liées au vêtement de montagne. Et c’est ce qui répond au besoin actuel des citadins. »

Depuis 2007, la marque est, en effet, descendue de la montagne (non pas à cheval mais) avec une collection de doudounes vintage, époque Les bronzés, très minimaliste aux couleurs acidulées. Un grand succès. En plein dans la tendance actuelle du sportswear. Les fashionistas ont adoré. Faire se conjuguer deux univers, mode et ski, c’est le parti pris de Fusalp depuis son rachat en 2013. L’inventeur du « fuseau des Alpes » et de la combinaison de ski utilise ses matériaux stretch, ses gaufrages, ses couleurs primaires au service de coupes et de silhouettes contemporaines.

« La technique est belle, répète Alexandre Fauvet, son CEO. Nos vêtements sont urbains mais nous les imaginons avec nos cerveaux de skieurs. »

Il y voit une réponse à « nos vies actives toujours en mouvement » et dont le besoin de confort est devenu capital. Le confort. Toute la problématique actuelle de la mode qui ne cesse de faire des incursions dans le vestiaire décontracté du sport. Car les imbrications vont dans les deux sens. « La mode appartient au sport, et le sport appartient à la mode », résume Alessandro Locatelli, CEO de Rossignol Apparel.

Parka Graysonen polyester, poches latérales, plumes d’oie, respirante, windproof et waterproof, Nobis.

Une interdépendance qui se traduit, dans le monde du ski, par une collection Street Style pour Burton, une première ligne de prêt-à-porter Urban Apparel chez Vuarnet. Colmar, de son côté, collabore avec le designer so hype Shayne Oliver, tandis que The North Face, s’est associé avec le label Supreme, avant de consacrer la moitié de ses collections à l’« urbanwear »… Idem pour Napapijri ou des spécialistes du grand du froid comme Quartz Co., Nobis ou encore Woolrich.

Réchauffement climatique

Parka Lutse issue de la collection Edition. Manteau d’hiver court, semi-ajusté, isolé de duvet canadien avec capuchon fixe ajustable doté d’une fourrure amovible de coyote canadien, Quartz Co.

Désormais, ces maisons concurrencent les marques de mode. Lorsqu’elles n’en sont pas elles-mêmes devenues une. Exemple avec Moncler, le pionnier incontesté dans le domaine. L’Italien Remo Ruffini, qui a racheté cette institution grenobloise en 2003, a tout de suite saisi le potentiel de sa doudoune en multipliant les collaborations avec les grands noms fashion.

Thom Browne pour l’homme, Giambattista Valli pour la femme désormais tous deux supplantés par The House Of Genius, un concept de collections capsule de créateurs pointus : Pierpaolo Piccioli, Craig Green, Simone Rocha, etc. Le lancement de ce nouveau projet a eu lieu lors de l’ouverture de la dernière fashion week à Milan. C’était l’événement à ne pas manquer. The place to be.

Une longueur d’avance, un chiffre d’affaires avoisinant les 1,9 milliard d’euros (en 2017), il est sûr que la success story Moncler a de quoi faire des envieux et inspirer… Mais si les raisons de ce virage lifestyle qui pousse les marques de montagne à faire du hors-piste étaient ailleurs ? Ailleurs que dans ces tendances et nouveaux modes de vie ? « On doit aussi supporter les conséquences du réchauffement climatique, confie Alexandre Fauvet. Avec l’enneigement de plus en plus faible des stations, cela oblige les marques à se différencier et à se réinventer. » Espérons qu’en ville, nos hivers continueront d’être froids.

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