Tous barbus

La barbe est l’attribut de l’homme d’aujourd’hui. Une façon d’exprimer sa masculinité et son style loin des représentations de sagesse, de pouvoir et de revendication qu’elle véhiculait autrefois. Décryptage d’un phénomène et d’un business… au poil !

Il n’y a qu’à regarder autour de nous. Où sont les visages glabres ? Pas un. Que des barbus ! Et ils sont loin d’avoir tous la dégaine du hipster tatoué amateur de café bio. Ils sont avocats, banquiers, journalistes, médecins, architectes, comédiens mais aussi étudiants, artisans, ouvriers… Le poil est sur tous les mentons ; principalement coupé court, soigné ou de 3 jours même si le long, le touffu, le bouc et la barbichette sont dans la nature.

Il y a autant de barbes que d’hommes. Certaines font délicieusement rétro s’il n’y avait pas ce look branché pour rappeler qu’on est en 2019 quand d’autres font presque peur évoquant la toison sauvage d’un viking ou d’un chanteur de ZZ Top.

Qu’elle soit noire, rousse, châtain, blanche, poivre et sel… C’est simple, à Paris, un homme sur deux porte la barbe. En France, ils sont 44 % à l’afficher fièrement (Chiffres : Bic Shave/OpinionWay). Finie la connotation ringarde ou l’a priori « bad boy ». La barbe est entrée dans les moeurs et ne choque plus personne. Elle s’est immiscée dans tous les milieux même les plus élitistes.

UN TRUC DE JEUNES

Il n’y a qu’à voir en politique. Pas Robert Hue non. Ni le Che. Il y a longtemps que la barbe n’est plus un symbole révolutionnaire. Mais Nicolas Sarkozy avec sa « petite barbe » qui fait fondre Carla Bruni sur Instagram et, dans un genre plus « génération Y », Emmanuel Macron qui la portait lorsqu’il était ministre de l’Économie avant de l’abandonner aussitôt (une question de densité peut-être).

Édouard Philippe, poilu n°1 du gouvernement, écrira même, en 2017, dans une tribune pour Libération : « Après la Première Guerre mondiale, c’est la moustache qui régna sans partage et la Ve République est jusqu’à présent d’un glabre monotone. »

Sauf qu’à bien regarder son gouvernement, chez les trente-quarantenaires – Sébastien Lecornu, Mounir Mahjoubi, Christophe Castaner – , c’est le clan des barbus qui se dessine peu à peu. Un signe de crédibilité, la barbe ? Peut-être. « Il n’est pas rare que des hommes promus à des postes à responsabilité nous demandent de leur façonner une barbe pour asseoir plus d’autorité et faire plus âgés », confie Aurélien Bertrand, le patron du barber shop Bonhomme.

L’INVERSION DES SYMBOLES

En effet, la barbe aujourd’hui semble être plus un « truc » de jeunes. 78 % des moins de 35 ans la portent, et on monte jusqu’à 92 % chez les 25-34 ans – les quarantenaires sont autour de 47 %1. La majorité y voit un signe de maturité. Leur barbe préférée ? Celle de 3 jours, qui est en définitive plus de 4-5 jours, bien égalisée.

Christian Bromberger, professeur d’anthropologie, spécialiste du poil (Auteur de Les Sens du poil – Une Anthropologie de la pilosité, éditions Créaphis, 2015), analyse cet attrait comme une amusante « inversion de la symbolique des âges. Alors que la barbe a longtemps été l’apanage de la vieillesse, la fameuse barbe blanche portée à la retraite tel un signe d’abandon de sa vie professionnelle, aujourd’hui, elle marque le symbole de l’entrée dans la vie adulte », explique-t-il. Et d’ajouter : « une vie d’adulte plus en mode “start-up” qu’hippie ou revendicative ».

Désormais donc, plus on est vieux, moins on porte de barbe, les nouvelles générations s’imposant toujours en contraste face à leurs aînés. Autre différence : la barbe est aujourd’hui l’expression d’une douce virilité – même si elle pique toujours autant.

« Elle est domestiquée, très soignée, elle ne traduit plus une puissance voire une supériorité comme par le passé », précise le professeur Bromberger.

«Elle reflète avant tout un retour à l’affirmation d’une masculinité dans un monde où les frontières fille-garçon s’estompent. » Comme si dans une société de moins en moins portée sur le genre, on avait besoin de revenir à l’essentiel : qui dit homme dit barbe.

Quoi qu’il en soit, « ce n’est plus un phénomène de mode, insiste Sarah Daniel-Hamizi, fondatrice de La Barbière. La barbe est instaurée dans notre société. Les garçons qui ont peu d’alternatives en termes de coupes de cheveux – en général, c’est court – ont découvert qu’ils pouvaient se métamorphoser grâce à leur pilosité faciale. Et ils trouvent chez les barber shops un endroit à eux, loin des coiffeurs mixtes qui prédominaient il y a encore 20 ans. »

L’ARRIVÉE DU HIPSTER

L’engouement remonterait selon elle à 2007- 2008 lorsque des George Clooney ou Brad Pitt se sont mis à porter des barbes de 3 jours ultra soignées. Un pied de nez au « métrosexuel », entièrement glabre, avec l’avènement de ce nouvel homme, « viril mais pas macho », cet « über-sexuel » pour reprendre le terme alors utilisé à l’époque. À cela s’est ajoutée l’arrivée en France du « hipster » à barbe touffue, tout droit venu de son Brooklyn natal, et les bases de la tendance étaient posées.

Le mouvement australien Movember, lancé dans l’Hexagone en 2012, ne fera qu’amplifier le phénomène. En invitant les hommes à se laisser pousser la moustache pendant le mois de novembre en guise de soutien à une cause qui les concerne de près – le cancer de la prostate –, barbes et moustaches ont fleuri sur les visages masculins.

Ce n’est pas Instagram qui dira le contraire : « #movember » comptabilise presque 2 millions de posts. Avec ce retour en grâce du poil au menton, celui des barbiers. On ne compte plus les ouvertures de ces barber shops ambiance vintage ou loft new-yorkais qui prodiguent, en même temps que des soins de barbe, un moment de détente for men only. Depuis 2012, « l’option barbier » est même réapparue au brevet professionnel de coiffure.

Ils sont environ 200 en France, une cinquantaine à Paris alors qu’ils n’étaient qu’une petite dizaine en 2013. Parmi les historiques citons Alain Maître Barbier, Les Mauvais Garçons, Le Cercle Delacre, Desfossé, Les Thermes de Lutèce ou encore La Barbière de Paris. Cette dernière vient d’ailleurs d’ouvrir deux autres salons, passant désormais à 7 espaces dans la capitale. En à peine 5 ans, elle a multiplié par 3 son chiffre d’affaires qui avoisine désormais les 3 millions d’euros. La barbe, un business qui cartonne.

UN MARCHÉ TRÈS PROMETTEUR

La nouvelle ligne Barbiere d’Acqua di Parma comprend des produits de soins pour la barbe.

Pas étonnant que les marques spécialisées pullulent : Baxter of California, Oak, O’Barber, Barbe N Blues, Be My Beard, Percy Nobleman, Beardilizer, Monsieur D., Le Père Lucien, Ça va barber, Barberstation, Au Poil, Imperial Beard, Reuzel… La liste ne s’arrête pas.

Huiles, baumes, pommades, émulsions, shampoings, gels, savons, masques à barbe et même décolorations ou compléments alimentaires accélérateurs de pousse de barbe (Beardilizer)… les produits de soin explosent.

Tous affichent un packaging savamment vintage. « En 2017, ils représentaient quasi la moitié de la toilette visage hommes », assure Erika Seydoux, directrice de marque chez L’Oréal Paris.

Le géant des cosmétiques a lancé en 2017 sa gamme Men Expert Barber Club. C’est qu’il a fallu riposter. Idem pour Nivea Men avec ses différents rituels selon que la barbe est de 3 jours, courte ou longue.

Côté luxe, Acqua di Parma vient de sortir une nouvelle ligne Barbiere, cette fois plus seulement consacrée au rasage mais englobant aussi des soins spécifiques pour la barbe : shampoing, sérum, crème modelante… L’ensemble parfumé aux notes d’agrumes, de lavande et de rose de sa mythique Colonia. Bientôt, dans la boutique de la rue des Francs-Bourgeois, un service de barber shop prodiguera l’art du rasage à l’italienne. Tout un programme…

RÉVÉLATEUR D’IDENTITÉ

Concernant le matériel, les tondeuses s’arrachent ! Plus 22 % en 2017 (GfK d’après fabricants) ! Philips, Braun, Remington, Panasonic, c’est à celle qui sera la plus « tout-en-un » et qui offrira le plus de précision. Chez les rasoirs jetables, on est moins à la fête. Là encore, il a fallu réagir. Par exemple, Wilkinson vient de sortir sa gamme Classique Vintage avec packaging esprit barber shop tandis que Gillette s’est associé à Braun pour sa tondeuse Fusion Styler qui taille, rase, sculpte, histoire de se façonner un « styling facial hair », comme disent les spécialistes, digne de ce nom.

Et on ne vous parle pas de tous les guides pratiques qui vous disent comment faire. Car la barbe parle aussi de ça, le style. Elle serait, plus encore que la coiffure ou les vêtements – peut-être parce qu’elle est beaucoup plus visible –, une façon de se différencier. De donner du caractère à son visage. De l’allure. Et parfois même de se trouver, comme un révélateur d’identité.

« Je me souviens d’un client un peu réservé chez qui la barbe a été un déclic, raconte le barbier Anthony Galifot (Préface du Guide Pratique de la Barbe de Jean Artignan). Ce nouvel accessoire l’a inscrit dans une dynamique de changement et lui a donné envie de faire évoluer son look. Il a senti le regard des autres sur lui changer, ou était-ce simplement cette nouvelle confiance en lui qui ne passait pas inaperçue ? »

Et puis, les femmes adorent paraît-il ! Alors, qu’attendez-vous !? Pour les moins fournis, il existe des extensions et même des greffes de barbes…

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