Des montres plus éthiques

Ces derniers temps, les montres se font vertes. Pas seulement, car c’est aussi la couleur tendance des cadrans. Les manufactures s’engagent, prônent la mobilité douce, et les comportements éco-responsables. Une démarche vertueuse à laquelle les clients sont de plus en plus sensibles.

Quand le nouveau luxe consiste à prendre son temps, les horlogers doivent bien se mettre à l’heure du développement durable et de l’engagement éco-responsable. « L’industrie du luxe est fondée sur un état d’esprit : le plaisir de faire plaisir. La possibilité de contribuer à un monde meilleur devrait augmenter ce plaisir », affirme Karl-Friedrich Scheufele, le coprésident de Chopard.

Depuis de nombreuses années, la maison est engagée dans « un voyage vers le luxe durable » en soutenant ponctuellement des initiatives comme 4ocean pour nettoyer les océans de la pollution plastique mais surtout en s’inscrivant comme pionnière dans le développement durable de ses matières premières.

Dès 2014, était lancée la première montre en or éthique « Fairmined », c’est à dire apportant la garantie d’une extraction responsable et l’assurance d’une rétribution des mineurs à un prix juste.

Un défi de taille, mais que la maison de joaillerie et d’horlogerie est en passe de réussir avec l’engagement de maîtriser l’intégralité de sa chaîne de production, y compris la définition des matériaux utilisés.

Un travail de longue haleine en faveur d’une « intégration verticale de la production », selon le président de Chopard qui œuvre depuis plus de 30 ans pour un suivi de l’or en « track and trace », c’est-à-dire en séparant de façon méthodique chaque étape de fabrication et de commercialisation du produit.

Depuis 2014, Chopard est pionnier dans la production de montres en or « Fairmined », issu d’un processus de production équitable. (ci-contre, le modèle L.U.C XPS).

Un procédé nommé « gold VIP corridor » en interne qui a supposé des investissements à la mesure de la volonté des dirigeants de l’entreprise. Car l’équation économique n’est pas simple, même avec les meilleures intentions.

Pour les plus petites maisons, ou pour les plus jeunes acteurs, le pari s’avère particulièrement risqué. Baume, la nouvelle marque de montres du groupe Richemont, tente de le relever.

« Nous n’utilisons aucun matériau précieux ni d’origine animale et les composants non utilisés sont recyclés ou revalorisés. Nos bracelets interchangeables sont fabriqués en textiles naturels, revalorisés ou recyclés, comme le liège, le coton, le lin, l’alcantara et le PET recyclé. L’emballage est réduit au strict minimum : il n’y a pas d’emballage secondaire et seuls du papier et du carton certifiés FSC* sont utilisés », souligne Marie Chassot, la directrice.

« Notre objectif est de répondre aux normes les plus exigeantes en termes de qualité et de savoir-faire, tout en collaborant au sein d’une économie circulaire » poursuit-elle, justifiant la démarche pour mieux capitaliser en image. Car désormais, il importe autant de dire que de faire.

UNE DÉMARCHE DÉJÀ ANCIENNE

Traditionnellement, le vert est la couleur de Rolex. La maison cultive depuis très longtemps sur le toit de ses bâtiments des jardins de roses, ou des potagers. Loin d’une simple animation paysagée, c’est un signe du soin porté au bien-être des collaborateurs et à l’intégration au cœur de l’environnement, même dans des zones industrielles.

Les installations de la « marque à la couronne », inaugurés en 2012 à Bienne, en sont une manifestation avec 400 000 m3 s’étendant sur une superficie de 92 000 m2, pour fabriquer les quelque 700 000 mouvements mécaniques qui y seraient produits chaque année. Les nouvelles constructions sont conçues et mises en œuvre selon des principes très stricts de sécurité, d’intégration à l’environnement et de respect du paysage, dans une philosophie de développement durable.

Les nouvelles constructions sont conformes au label suisse de qualité Minergie. Avec leurs nouvelles manufactures, dessinées par de grands architectes, IWC, Hublot, Omega, ou Swatch, entre autres, peuvent en dire autant. Chez Jaeger-LeCoultre, on offre traditionnellement aux visiteurs des pots de miel issus des ruches entretenues par les collaborateurs d’une maison fi ère de ses racines montagnardes suisses.

La nouvelle Superocean Héritage II Chronographe 44 Outerknown de Breitling, avec son bracelet en fil ECONYL®, fabriqué à partir de nylon récupéré des filets de pêche, marque le partenariat signé avec Outerknown, une marque de vêtements durables engagée dans la protection de l’environnement et la préservation de la planète cofondée par le surfer Kelly Slater.

Toujours chez Jaeger-LeCoultre, chaque jour, trois navettes font le tour des villages environnants pour amener les collaborateurs à la manufacture et les ramener à leur domicile, afin de privilégier la « mobilité douce » De son côté, Piaget finance des abonnements aux transports publics genevois, ou des modes alternatifs comme le covoiturage ou le vélo.

Piaget entend aussi limiter les déplacements professionnels superflus en multipliant les téléconférences ou le regroupement des voyages. Chez Girard-Perregaux ou Ulysse Nardin, 100 % du papier est d’origine contrôlée et 50 % recyclable. Au Japon, le géant Seiko a interdit les chlorofluorocarbures depuis 1993, et, depuis 2006, il n’y a plus de plomb dans les mouvements à quartz.

Éthique, mobilité douce et économies d’énergie sont bien aujourd’hui des points stratégiques, à condition d’être capable de concilier le temps long de la marque avec le temps court du consommateur.

Ce n’est pas le seul écueil. La responsabilité environnementale est avant tout une question de processus et de traçabilité. Voilà qui s’éloigne du marketing horloger faisant l’apologie de « garde-temps mariant la tradition et la modernité avec une élégance intemporelle », et autres formules du genre dont la communication des maisons abusent parfois.

Il est, en effet, bien délicat d’industrialiser le rêve ; encore plus de le vendre. Car, lorsqu’ils sont interrogés, les détaillants ou les vendeurs avouent avec prudence que le développement durable ne fait pas rêver. Le consommateur est d’autant moins engagé à le vouloir que son bénéfice dépasse l’échelle de sa propre vie.

Se prémunir d’une augmentation des températures de 1,5 °C dans un siècle, c’est bien mais cela ne fait pas vendre des montres aujourd’hui. Articuler désirabilité et durabilité est aujourd’hui la clef, sans négliger le caractère « accessible », car le progrès écologique ne sera réel qu’une fois qu’il sera partagé par le plus grand nombre. La prise de conscience est donc aussi un enjeu.

DES STRATÉGIES CONTEMPORAINES

Oris en a fait l’un de ses chevaux de bataille, mettant ses moyens autant pour aider à la protection des récifs coralliens ou à la dépollution des océans, que pour des opérations de sensibilisation d’envergure.

« Une montre mécanique est un produit durable car elle utilise l’énergie créée par son propriétaire quand il la porte. Elle est conçue pour durer plusieurs générations », souligne avec conviction Ulrich W. Herzog.

Le président de la maison horlogère indépendante suisse Oris précise immédiatement que son entreprise « ne fabrique que des montres mécaniques, le dernier modèle à quartz ayant été réalisé en 1995. Nous continuons à faire de notre mieux pour apporter des changements positifs dans toutes nos activités mondiales ». Un credo qui s’appuie sur des actes.

« Nous avons fait les premiers pas l’année dernière en proposant un coffret de montres fabriqué à partir d’algues, respectueuses de l’environnement, et nous avons commencé à fabriquer des montres avec des bracelets en cuir durable. Cette année, nous avons lancé des bracelets en PET recyclé (un matériau fait de plastique récupéré dans les mers, également utilisé par des maisons comme Baume, NDLR).

Notre objectif principal pour l’avenir est d’agir de manière responsable socialement et écologiquement, c’est-à-dire d’utiliser des matériaux durables pour nos montres. Donc, oui, il reste encore beaucoup à faire et nous sommes ravis de faire partie de ce mouvement pour le changement. »

Un changement visible sur le poignet ? C’est ce que propose aussi Breitling avec sa nouvelle montre Superocean Héritage II Chronographe 44 Outerknown développée en partenariat avec la marque éco-responsable Outerknown cofondée par le célèbre surfeur Kelly Slater.

Son bracelet NATO spécifique est confectionné en fil ECONYL®, un matériau innovant fabriqué à partir de déchets de nylon, notamment de débris de filets de pêche dérivants, récupérés dans les mers et qui sont un danger majeur pour les espèces animales en milieu marin, qui les mangent ou se blessent.

Le vert est évidemment la couleur de Rolex, en particulier du cadran des éditions spéciales ou commémoratives (ci-dessous la Submariner Date verte). La manufacture suisse n’a pas attendu la mode pour construire des installations vertueuses. Depuis plus de 20 ans, les toitures végétales de ses manufactures permettent une gestion responsable de l’écosystème et sensibilisent l’ensemble des collaborateurs.

En plus du plaisir, porter cette montre est bien un acte militant, affichant sa préoccupation pour la préservation de la nature. Poussant plus loin l’idée, la maison H. Moser & Cie a beaucoup fait parler avec la présentation de sa montre « vivante », recouverte de végétation suisse.

Il convient de l’arroser deux fois par jour. « Le temps, comme la nature maltraitée par l’action humaine, s’avère chaque jour plus fragile et plus précieux. Chacun se doit d’en prendre le plus grand soin. » Voilà qui souligne l’essentiel : l’engagement collectif repose avant tout sur la responsabilité de chacun.

OSER PRENDRE SON TEMPS

« Il importe de prendre en charge », écrivait en juin 1943 Antoine de Saint-Exupéry dans une lettre angoissée aux accents prophétiques, alors qu’il méditait déjà sur l’accélération du monde et la mainmise de la machine sur l’homme, avant de poursuivre ainsi : « Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous. »

Une démarche sensible qui induit aussi un autre comportement cher aux tenants de la « slow culture » : trouver une nouvelle philosophie de vie, à rebours du caractère hystérique du rythme de vie contemporain. C’est notamment le message porté désormais, parmi d’autres, par les créateurs de Trilobe.

«­ La plage est en quelque sorte mon bureau, et je suis donc confronté chaque jour à la pollution. » Kelly Slater

Pour Gautier Massonneau, inspiré par le poète René Char, sa montre Les Matinaux « renverse le référentiel d’affichage de l’heure en mettant le temps en mouvement, tandis que ses indicateurs deviennent fixes », grâce au mouvement mécanique conçu par l’horloger réputé Jean-François Mojon, avec son système de disques rotatifs. Innovants et engagés face aux défis des temps présents, les horlogers entendent montrer qu’ils ne tournent pas en rond.

*Les matériaux et produits certifiés FSC (Forest Stewardship Council) garantissent leur provenance de forêts gérées de façon responsable.


SE METTRE AU VERT

Plus qu’une couleur et mieux qu’une simple tendance, le vert devient une attitude.

les articles du moment