Le chemisier d’Agnelli et de Trump

Il a fait connaître son village, Ginosa, au-delà des frontières italiennes. Angelo Inglese est aujourd’hui l’un des chemisiers italiens les plus connus hors de son pays. Pourtant, sa production ne dépasse pas 6 000 pièces par an.

Angelo Inglese a fait le pari de tout miser sur le local. Tout, jusqu’aux pâtes qu’il propose dans un sachet en tissu de récupération, le même qu’il utilise pour ses chemises, made in Puglia. Et plus précisément Ginosa. C’est dans ce village, que sa grand-mère Annunziata lance l’entreprise familiale dès 1955. À cette époque, il n’est pas encore question de chemises, mais de costumes sur-mesure.

Ses fils s’engagent à ses côtés. Mais ils sont très vite confrontés à l’essor de l’industrie textile, qui prive les petites entités de main d’oeuvre qualifiée. À partir des années 1970, Inglese Abbigliamento se mue ainsi en entreprise de confection, sans renoncer toutefois à son ADN artisanal.

Quand Angelo Inglese la reprend, à l’âge de 22 ans, suite au décès soudain de son père Giovanni, il décide de la rebaptiser G. Inglese et d’opérer un retour aux sources, tout en se concentrant sur l’export. La chemise est privilégiée. Les vieilles machines à pédales sont exhumées, les autres, plus modernes, remisées dans des cartons jusqu’à nouvel ordre.

UN CERTAIN SENS DE LA COMMUNICATION

Pour ses débuts à l’international, le jeune entrepreneur prend conseil auprès des directeurs commerciaux de grandes marques qui lui signalent la passion des Japonais pour les films italiens des années 1950-60.

Ce sera le déclic. Recréer la chemise-polo en Oxford blanc portée par Gianni Agnelli lors d’un séjour à Capri, retrouver dans les trousseaux des jeunes filles du temps jadis les motifs brodés qui orneront leurs pochettes, bientôt best-sellers, faire d’une fleur au crochet l’emblème de sa marque, jusqu’à l’apposer sur des bracelets multicolores fermés par un bouton en nacre (en vente dans la Boutique de Monsieur.fr), créer une Eau de Ginosa pour parfumer les chemises en attente de livraison… autant d’idées lumineuses pour se distinguer et croître, dans un paysage largement dominé par la chemise napolitaine.

Le premier coup de maître d’Angelo ? Avoir réussi à faire porter l’une de ses chemises au Premier ministre du Japon Yukio Hatoyama. Mais son sens de la communication ne s’arrête pas là. En 2011, le prince William portait lui aussi une chemise Made in Ginosa au moment de dire oui à la future duchesse de Cambridge. Il fut imité depuis par Donald Trump le jour de son investiture.

DE LA COULEUR ET DU GOÛT

Une chemise G. Inglese « entièrement » faite main requiert 25 étapes de fabrication et une vingtaine d’heures de travail. Un fil de soie est utilisé pour les finitions visibles. Aux côtés des incontournables chemises blanches, disponibles dans tous types de coton (du twill 120/2 à la popeline 300/2, summum de luxe et de douceur), et des chemises sport, aux nombreuses rayures, à porter sans modération.

Des sahariennes ont fait leur apparition récemment, ainsi que des vestes façon chemise et des manteaux a mappina – forcément. Les harmonies de couleurs sont belles, lumineuses, toujours de bon goût. Si les antiques machines à coudre Singer ont été pour la plupart remplacées, le propriétaire des lieux refuse toujours toute forme de rationalisation.

« À une époque, déclare-t-il, les banques voulaient absolument financer la transformation de mon modèle économique. Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. »

La formation est son obsession. En 2013, il achète et restaure un bâtiment historique de 3 500 m2 dans le centre de Ginosa pour y loger à la fois l’atelier, une cantine pour le personnel (une vingtaine d’employés en tout), une école, une auberge, un showroom.

Malheureusement, des inondations vont ruiner ses efforts. Angelo Inglese a depuis reporté ses espoirs sur l’expérience digitale. Objectif ? Utiliser la réalité augmentée pour prendre plus facilement des mesures par écran interposé.

« Les hommes, explique-t-il, veulent à la fois plus de personnalisation, plus d’artisanat et plus d’innovation. La technologie nous permet de conjuguer les trois. »

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