« Notre force est de savoir mixer les styles »

Stéphane Gaffino bouillonne d’énergie, d’idées et de cœur. En quatre ans, le fondateur de l’Égoïste a donné à sa marque une patte mixant la culture du classique au workwear et aux influences militaires. Un esprit chic et cool qu’il distille de Biarritz à Saint-Barth et bientôt à New York. Il a accepté de répondre à nos questions.

VOTRE PREMIER SOUVENIR DE MODE ?

Mon père, dans mon enfance. Il travaillait dans les affaires et lorsqu’il s’habillait, il avait cette façon de porter le costume, de nouer sa cravate ou de disposer sa pochette qui, d’un coup, le faisait passer du mode papa à celui d’un businessman plein d’allure.

Cela m’a fait comprendre qu’on pouvait être classique tout en étant cool, et que c’était même ça l’élégance, cette nonchalance. Mais, celui qui m’a appris le métier, c’est Albert Goldberg, le roi du sportswear chic en France (le fondateur de Façonnable, NDLR).

QU’EST-CE QU’IL FAUT POUR ANTICIPER LE GOÛT DES GENS ?

C’est difficile à expliquer. Ce sont des émotions, un feeling, des voyages… Je crois qu’il faut du flair, observer et aimer les gens. La mode est un métier généreux. Les échanges et la convivialité me nourrissent. Il faut aussi être capable de s’émerveiller de tout, c’est indispensable pour recommencer à créer tous les 6 mois.

LA MAISON OUVRE UN FLAGSHIP À NEW YORK EN FIN D’ANNÉE. VOUS AVIEZ UN POP-UP À NANTUCKET. VOUS SHOOTEZ CERTAINES DE VOS IMAGES À LOS ANGELES OU EN FLORIDE. LE RÊVE AMÉRICAIN VOUS INSPIRE ?

C’est un pays fascinant. Ça évoque peut-être un rêve de gamin. Dans les années 80, on rêvait tous des US. Tout y est easy, pragmatique. Comme j’ai raconté mon histoire à Biarritz, je veux le faire maintenant à New York.

C’est bien connu, quand New York tousse, le monde s’enrhume, non ? Nous y testerons un nouveau concept de boutique où il n’y aura plus seulement des propositions de vêtements. Ce sera un lieu de vie avec un café, des magazines, des livres, du linge de maison…

Nous irons également dans ce sens avec notre boutique de Saint-Barth. Je ne crois plus en la boutique traditionnelle dupliquée à l’identique dans chaque ville. Il faut que chaque espace ait sa personnalité.

QU’EST-CE QUI PLAÎT AUX AMÉRICAINS DANS LE STYLE L’ÉGOÏSTE ?

La légèreté européenne peut-être, l’émotion. Oserais-je dire une « patte ». La maison habille autant le notaire que le hipster ou le biker. C’est un vestiaire modulable. Notre force est de savoir mixer les styles.

Ensuite, il y a la qualité de nos vêtements bien sûr et celles de nos matières premières. Nous n’avons pas peur de refaire trois fois une veste si elle ne nous satisfait pas. Il faut qu’on soit fier de notre travail. Nous ne sommes pas dans la logique de livrer vite et à tout prix mais plutôt de faire un beau produit, bien fini, avec un vrai sens du détail.

Si la maison photographie de vraies personnes pour présenter sa mode, elle aime aussi les lieux atypiques pour ses prises de vue. Ici, un garage confidentiel où Ford GT 40, Corvette Stingray et Triumph viennent elles aussi nourrir l’univers authentique de L’Égoïste. Photographie David Duchon-Doris ©

VOUS AVEZ REMIS AU GOÛT DU JOUR LE GILET. QU’EST-CE QUI VOUS PLAÎT TANT DANS CETTE PIÈCE ?

C’est le trait d’union d’une silhouette. Celui qui va réveiller une tenue, la touche finale. J’en ai fait ma spécialité. Avec plus de 80 références différentes chaque saison, L’Égoïste a la meilleure offre de gilets actuelle.

Je le réinvente en le déclinant dans des denims, des patchwork, des motifs bandana, camouflage, des gros chevrons, pour le rendre moins sage. Il est beaucoup plus élégant qu’un pull et donne ce petit twist stylé. Il rend chic un jean destroy et plus fun un simple chino. Au dernier Pitti (le grand salon de mode masculine de Florence, NDLR), nous n’avons présenté que cette pièce.

Une bibliothèque de gilets. Les Italiens et les Japonais ont adoré ! Prochainement, vous pourrez le personnaliser ou le faire à vos mesures, nous développons un service tailoring dans nos boutiques.

VOUS LANCEZ POUR L’ÉTÉ UN « LOAFER-SNEAKER ». UNE FAÇON DE NE PAS CHOISIR SON CAMP ?

Un peu… (rires.) Toujours dans cet esprit de mélanger les styles, nous avons cherché un intermédiaire décontracté entre la running, furieusement tendance mais trop sport et le mocassin à pompons trop classique. Résultat, un loafer sur la base d’une running. À porter à l’italienne, sans chaussettes !

Le loafer-sneaker, un mocassin construit sur la base d’une running. Du style, le confort en plus. Photographie David Duchon-Doris ©

VOUS AIMEZ RACONTER DES HISTOIRES À TRAVERS VOS VÊTEMENTS. EXPLIQUEZ-NOUS.

Tout a été inventé dans la mode masculine mais tout reste à réinventer. Comme je travaille sur le vestiaire classique, je mise sur la fantaisie mais toujours avec une culture de l’habit.

Les motifs que j’utilise – camouflage, bandana, gipsy, kilim ou encore l’aloha hawaïen – racontent tous une histoire, même si je les détourne. Idem pour les pièces avec lesquelles je les mixe.  Chino, treillis, field jacket, gilet… Tous ont un passé fascinant. Et c’est cet héritage qui fait le look L’Égoïste. Les clients viennent pour cette histoire-là.

VOUS TRANSFORMEZ AUSSI DES PIÈCES VINTAGE, VOUS « UPCYCLEZ », COMME DISENT LES MARQUES ÉCO-RESPONSABLES.

En effet, nous achetons des stocks de vêtements militaires et workwear dans des surplus confidentiels au bout du monde et à partir desquels nous démontons et remontons certaines pièces.

Les matières d’autrefois sont d’une qualité nettement supérieure à celles d’aujourd’hui. Récemment, j’ai trouvé au Japon une usine traditionnelle dotée de vieux métiers à tisser tubulaires permettant de faire des tee-shirts à mailles légères et irrégulières. Nous ne sommes pas parvenus à les finaliser. Tant pis, on le fera plus tard, mais on le fera bien.

Vous voyez, nous sommes « slow » nous aussi ! Non seulement on fait des vêtements qui durent mais, en plus, on prend notre temps pour y parvenir ! Une raison de plus pour ne pas faire de soldes !

VOUS DITES SOUVENT QUE « VOUS NE TRICHEZ PAS ». C’EST PARTICULIÈREMENT JUSTE QUAND ON VOIT VOS LOOKBOOKS. POURQUOI PHOTOGRAPHIER DES VRAIS GENS ?

Il n’y a rien de plus authentique. À chaque fois, c’est à la suite de rencontres. Certaines personnes brillent plus que d’autres. J’aime les gueules comme j’aime les beaux vêtements. Un jour, à Greenwich Village, un type prenait son café dans la rue, à côté de nous, alors qu’on remballait nos affaires après un shooting.

On commence à discuter, je trouve qu’il a un truc et lui propose de poser pour nous. Ça l’amuse, il accepte, il se trouve que j’ai avec moi un gilet, la lumière est belle. On y va. Plus tard, j’apprendrai que c’était un des grands gagnants de Survivor !

Photographie David Duchon-Doris ©
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