Christophe : un « couturier de la chanson »

Monsieur a eu la chance de croiser Christophe, il y a quelques mois, grâce à Audi et au lancement de la nouvelle acoustique de l’A8. L’occasion d’échanger sur sa vie, ses passions et son album Duo. Récit d’une rencontre.

Comme beaucoup de Français confinés, je me suis réveillé, le matin du 17 avril, en apprenant la mort de Baptiste Bevilacqua plus connu sous le nom de « Christophe », survenue dans la nuit à Brest. Hospitalisé en soins intensifs, le chanteur, qui souffrait d’emphysème, nous a quitté en silence, dans la nuit qu’il aimait tant.

Il est parti trop tôt, à 74 ans, trop vite, rejoindre son copain Alain Baschung avec lequel il partageait une amitié et une complicité artistique de toute une vie.

Que l’on aime ou pas son timbre de voix si particulier, sa disparition marque la fin d’une époque empreinte d’insouciance, celle des premiers flirts dans la chaleur des nuits d’été au son de ses entêtantes mélodies. Aline, Paradis Perdus, Les mots bleus et tant d’autres… On le croyait immortel. « Je ne t’ai jamais dit, mais nous sommes immortel », chante Baschung… Désormais, Christophe l’est à travers son œuvre.

VIRILITÉ ET EXTRÊME SENSIBILITÉ

C’est ce merveilleux artiste, délicat, un peu nonchalant et d’une extrême gentillesse que j’ai eu la chance de rencontrer grâce à Audi, un soir de novembre 2019 à Paris, au Crillon, pour évoquer son album de Duo Vol. 2 et tester avec lui la nouvelle acoustique de l’A8, le modèle le plus haut de gamme du constructeur bavarois.

Un privilège que l’on apprécie aujourd’hui à sa juste mesure. Au-delà du concert intime et chaleureux qu’il nous a livré, nous retenons surtout les mots échangés.

20h. Sagement assis sur un pouf en velours, l’artiste nous attend dans une vaste suite du Crillon. Son brushing à la Georges Michael des années 70 a laissé place à une longue chevelure dorée bien disciplinée, peignée vers l’arrière, son « casque d’or ». Sa moustache impeccablement taillée ourle sa lèvre supérieure fine et discrète. Sur ses épaules, une veste camouflage sombre et ajustée, portée sur un tee-shirt noir, forcement échancré, et qui laisse apparaître une fine chaîne. Moulé dans un jean ultra slim et chaussé de ses bottines à talons, sa marque de fabrique, il émane de lui un mélange étonnant mais harmonieux de virilité et d’extrême sensibilité. Silencieux, un peu nerveux, rien ne lui échappe pourtant derrière ses lunettes de soleil aux verres bleutés.

UNE SIGNATURE VOCALE

Si nous sommes là ce soir, c’est pour évoquer le volume 2 de ses duos dont sa maison de disques a eu l’idée et qu’il assume artistiquement (presque) totalement. Même s’il a ses préférences : Arno, le chanteur belge, l’élégant Philippe Katerine ou encore Laetitia Casta… dont il crut, au départ, à une blague lorsqu’elle l’appela. L’alchimie se fit pourtant et le très réussi Daisy vit le jour, aux faux airs de Bonnie and Clyde façon Bardot – Gainsbourg.

Christophe, c’est surtout une signature vocale très particulière, haut perchée, presque féminine. Une fragilité, immédiatement identifiable. De son propre aveu, une voix un peu « trafiquée », très tôt, par ses fameuses machines dont il avait le secret. Son débit unique, bien à lui, est à la fois lent, posé et spontané. Presque désordonné parfois. Un phrasé « à la Sagan » mais au ralenti. Il faut avoir du temps lorsque l’on échange avec lui. Il faut se mettre à son rythme, ne pas interrompre le flot parfois accidenté de ses mots. Jusqu’à ce qu’il se sente en confiance et que la conversion tourne presque à bâtons rompus.

L’artiste joue le jeu des questions-réponses. Il s’amuse. Peu de sourires – c’est un rocker –, une certaine retenue mâtinée de timidité bien qu’il distille une foule d’anecdotes avec des sauts dans le passé dont on se délecte. Musique, bien sûr, mais aussi rencontres, autos, bateaux – sa grande passion, il passait des étés entiers en mer –, voyages, femmes… tout y passe.

SON RETOUR DANS LES ANNÉES 90

Démarrée en trombe au cœur des yé-yé, sa longue carrière est pourtant faite de hauts et de bas. Et de calmes plats. Voire d’éclipses. Il disparaît ainsi des salles de concert pendant 25 ans jusqu’à un retour en grâce au milieu des années 90, avec son nouvel album, Belavicqua, à la sonorité très moderne et salué unanimement par la critique.

Il décide de remonter sur scène pour une série de concerts en 2002 sur la mythique scène de l’Olympia. Tournée enregistrée et récompensée par une Victoire de la Musique. Il y interprète bon nombre de ses succès en version quasi acoustiques au piano à queue, lui pour qui les synthés ou les boîtes à rythme n’avaient plus de secrets. On découvre aussi de nouvelles chansons pour la plupart réinventées et réorchestrées, fruit d’expériences sonores multiples concoctées dans sa tanière ultra expérimentale du Boulevard Montparnasse.

Autres succès : le fameux concert donné dans le parc du Château de Versailles en 2009 et son dernier album solo, Vestiges du Chaos sorti en 2016. Jean-Michel Jarre, son ami, son parolier le temps de quelques tubes, le définit comme « un couturier de la chanson. C’était un personnage unique. Il avait une fantaisie qu’on ne retrouve plus aujourd’hui ».

SEPT LAMBORGHINI MIURA

Grand amateur de voitures de sport (euphémisme) et de vitesse – il a possédé jusqu’à 12 voitures en même temps –, il n’avait plus son permis depuis 2000, année d’un retrait amplement justifié au volant d’une sportive italienne lancée trop souvent à plein régime sur l’autoroute du Nord. « Impossible de résister », selon lui…

Il était mordu de belles Italiennes aux cylindres bien alignés – sans doute ses gènes transalpins. Il a eu jusqu’à 7 Lamborghini Miura successives et un exemplaire de la mythique Ferrari Daytona, la voiture qu’il a préférée. Pour autant, jamais, il ne se décida à repasser le permis. Et c’était sans appel : il était farouchement opposé au permis à points. S’il ne roulait plus depuis qu’accompagné d’un chauffeur, ce n’était pas par snobisme mais par fidélité à ses principes.

UN HOMMAGE À ENZO FERRARI

Notre entretien terminé et mon 45 tours daté et signé, religieusement glissé dans ma musette – mon côté « fan de » totalement assumé –, nous avons enchaîné sur un dîner rapide durant lequel Christophe choisissait avec nous les chansons qu’il allait interpréter juste après lors d’un mini concert au bar du Crillon. Il en révisait les paroles sur son iPad. Un bosseur et un perfectionniste qui nous confesse son manque de mémoire.

Les premières notes résonnent et la magie opère. Une jeune fan, les yeux pleins d’émotions, lui demande de chanter Daisy. Un carton. Puis vient La Dolce Vita… Le surprenant Enzo, un hommage à Enzo Ferrari, évidemment.

Le moment est délicat, privilégié… la voix magique, unique. On souhaiterait que cela ne s’arrête pas. Impossible à cet instant d’imaginer que le chanteur nous quitterait quelques mois plus tard… Mais ses chansons, des joyaux, sont éternelles. Les Paradis perdus, chanson écrite par son ami Jean-Michel Jarre, est si joliment réinterprétée par Christine And the Queens. Tout comme M reprend merveilleusement Les Mots Bleus. Un artiste qui continuera d’inspirer des générations… Un « dandy un peu maudit », au charme fou.

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