Lino Ventura : « la classe tous risques »

Cent ans après sa naissance, il demeure l’un des acteurs les plus populaires du cinéma français. S’il n’est pas une gravure de mode, son élégance naturelle, travaillée avec son ami Arturo Cifonelli, a fait de lui une icône.

«La première fois que Lino Ventura m’a serré la main, j’ai recompté mes doigts ! » raconte Massimo Cifonelli avec un sourire amusé, en se souvenant du lycéen intimidé qu’il était devant le géant du cinéma qui s’habillait exclusivement rue Marbeuf, chez Arturo Cifonelli. Il faut bien admettre qu’il y avait de quoi être troublé par l’homme. Imposant, il avait été catcheur et lutteur professionnel avant d’être repéré pour sa « gueule de ciné ».

Lino Ventura, c’était d’abord un gabarit de lutteur professionnel, métier qu’il exerça avant de devenir acteur. (Photo courtesy édition de la Martinière, lino ventura par Laurent ventura et Luciano Melis)

Peut-être est-ce le sport de combat qui donna à Lino Ventura son fameux regard noir que des pattes d’oie pouvaient parfois adoucir comme une bouche prête à rire ou à se serrer d’agacement ? Comme ses copains, ceux du ciné, Gabin – dit Le Vieux –, Blier ou Belmondo et ceux de la ville, Brel et Brassens, Lino Ventura a dépassé son métier d’acteur et ses engagements pour devenir une icône. Dans notre imaginaire, l’acteur pourrait être l’archétype du Français : courtois et galant, mais aussi un peu bourru, bretteur et gouailleur. En somme, le Français qui fait la gueule mais qui n’oublie jamais de tenir la porte aux dames.

DÉCONTRACTION TOUTE LATINE

Ventura, un Français comme les autres ? Si l’acteur incarne notre pays, il n’a pourtant jamais été français de nationalité. Ni extravagant comme Bébel ou franchouillard comme Gégé. Sous un air réservé et bougon, il possède une décontraction et une assurance toute latine. Une peau française, un cœur italien. On pourrait dire la même chose de son tailleur, Cifonelli.

C’est là tout le paradoxe et la richesse des Ventura et Cifonelli : immigrés en France durant l’entre-deux guerres, ils sont devenus notre patrimoine. Tous deux déracinés, ils se sont hissés au sommet de leurs arts respectifs grâce à cette culture transalpine commune. Peut-être est-ce cette Italie natale qui a fait germer l’amitié profonde qui les liait ? En tout cas, il est certain que c’est cette Italie qu’Arturo Cifonelli a su sublimer dans le vestiaire de Lino Ventura. Le style de l’ancien catcheur est très facile à identifier. Il reste fidèle à une certaine allure classique, un peu celle du père de famille aisée. Son uniforme se compose d’un costume plutôt foncé, d’une chemise claire et d’une cravate fine en grenadine foncée. On voit rarement une pochette mais plus volontiers un feutre mou sur la tête et un imperméable crème droit. Au fil des décennies, rien ou presque ne change.

UNE GARDE-ROBE CLASSIQUE

Lino Ventura porte des costumes de gabardine ou de flanelle, en laine, parfois avec de petits motifs comme le « Gun Tweed » pour les costumes « sport », ou des rayures discrètes pour les costumes de ville. Les dépareillés se composent de vestes marron ou beige en cachemire portées avec des pantalons gris clair. Les costumes de ville alternent le gris clair et le bleu marine. Somme toute, sa garde-robe était classique et de bon ton. Lino Ventura porte presque exclusivement des vestes droites à deux boutons et plus rarement des vestes croisées.

Pour les chemises, l’acteur montre très souvent à la caméra des chemises unies blanches ou bleu pâle. À une exception près : à la ville, Massimo Cifonelli se souvient que Ventura osait les chemises roses. Les chemises de Ventura sont coupées amples, mais sont parfaitement à sa taille : les manches se finissent au-dessus des mains et le cou ne nage pas dans le col coupé à l’italienne et semi-ouvert. Lino Ventura semble avoir particulièrement apprécié les cravates sombres, en tricot de laine ou de soie.

Il est très rare de le voir porter autre chose, goût partagé par un autre client célèbre de la rue Marbeuf, Jean d’Ormesson. Les souliers de Ventura dénotent un goût plus marqué encore pour l’Italie. Il porte souvent des derbies à deux œillets ou de fins richelieus qui lui dessinent un pied très raffiné.

DEUX PÉRIODES, DEUX STYLES

Lino Ventura n’est pas d’une élégance tapageuse. Ses vêtements sont beaux et bien coupés ; à la caméra comme à la ville, Ventura sait quand il faut être décontracté et quand il faut être plus formel – mais on aurait tort de croire que le style de l’acteur était tiède.

D’abord, force est de reconnaître qu’il y a deux périodes. Il y a les premières années, où le jeune acteur enchaîne les seconds rôles. Ventura joue les gros durs. Il est alors habillé dans des costumes massifs et très étoffés qui pourtant peinent presque à contenir son physique de catcheur. Du gangster Angelo de Touchez pas au grisbi (1954), à son premier rôle principal, (Léo Pacquet dit « le Gorille ») dans Le gorille vous salue bien (1958), le style de Ventura ne se distingue pas des autres acteurs de sa catégorie.

(Photo courtesy édition de la Martinière, lino ventura par Laurent ventura et Luciano Melis)

Tout change au milieu des années 60 après sa rencontre avec Cifonelli. Ventura habillé rue Marbeuf, c’est une silhouette structurée aux épaules, d’accord, mais avant tout souple et décontractée. La ligne directrice des costumes de l’acteur, c’est le confort. Le tour de main d’Arturo Cifonelli a été de parvenir à habiller la stature imposante de Ventura sans lui donner la silhouette pesante d’un général soviétique grâce au secret de fabrication des Cifonelli : une épaule emboîtée et plutôt étroite.

DES VÊTEMENTS QUI ACCOMPAGNENT LES MOUVEMENTS

Il faut (re)voir Lino Ventura bouger à l’écran pour comprendre le travail du tailleur. Des comédies comme Les Tontons flingueurs (1963) bien sûr, aux drames plus sombres comme Garde à vue (1981), l’acteur peut facilement distribuer les « bourre-pifs », enchaîner les cascades en voiture, les bagarres et les verres de vitriol : les vêtements accompagnent entièrement les mouvements de son corps.

La mission du tailleur est alors remplie : faire oublier son travail et sublimer la silhouette du client. Ventura n’a jamais porté de vêtement d’une coupe caricaturale. Dans les années 50, il n’a pas eu de vestes gigantesques, ni les costumes moulants des minets de la décennie suivante (il aurait eu du mal). Dans les années 80, ses vestes sont suffisamment amples pour masquer discrètement le temps qui passe. Comme Cary Grant ou Fred Astaire, toute l’intelligence du style est de suivre la forme de son corps. Grand et musclé, Ventura était relativement facile à habiller.

Trente-cinq ans après sa disparition, Lino Ventura demeure une référence de style. Une élégance classique, à la papa, dans un corps d’athlète. (Photo courtesy édition de la Martinière, lino ventura par Laurent ventura et Luciano Melis).

Mais il faut parfois se sacrifier pour le septième art. On trouve dans la filmographie de l’acteur quelques costumes mémorables. Dans L’aventure c’est l’aventure (1972), le spectateur sourira avec amusement à la vue d’un Lino Ventura qui roule des mécaniques devant des blondes sur la plage, notamment accompagné d’un Jacques Brel facétieux, tous deux vêtus de chemises à motifs psychédéliques, bermudas aux couleurs acidulées et trilbies de paille sur la tête !

« Derrière cette façade impressionnante, il y avait l’homme de cœur, amical, passionné et sans façon. »

Massimo Cifonelli se rappelle que jeune homme, il lui arrivait d’avoir avec l’acteur des discussions animées – en italien ! – dignes des plus fervents tifosi, passion transalpine pour le ballon rond oblige.

Lino Ventura et Arturo Cifonelli s’appréciaient beaucoup. La dignité et la prestance de Ventura à l’écran comme à la ville étaient parfaitement illustrées par les costumes réalisés par Arturo Cifonelli, devenu son ami. Signe de cette complicité, les Cifonelli faisaient essayer à Lino Ventura ses costumes directement dans la salle de coupe et non pas dans les salons d’essayage, entre intimes. Quant à l’acteur, il recevait son tailleur à dîner et lui cuisinait alors « la pasta ». Une belle façon de partager, le temps d’une soirée, le goût de sa terre natale, des ciseaux à l’assiette !                   

À l’occasion du 100ème anniversaire de sa naissance, le livre Lino Ventura, écrit par son fils ainé Laurent et Luciano Melis, revient sur l’enfance de l’acteur, sa carrière de catcheur, ses débuts (par hasard) au cinéma et les grands rôles qui ont marqué sa carrière. Des témoignages exceptionnels. Éditions de La Martinière, 220 x 285 cm, 208 pages, 29,90 €.
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