Somptueuse flanelle

Sa culture de la couture est aussi grande que sa connaissance du style. Dans chaque numéro,
Julien Scavini, tailleur mais également bloggeur, chroniqueur, coach à la télévision, répond à vos questions.

Rares sont les tissus à porter autant de valeur et d’émotion que ce drap au velouté si typiquement britannique. Ce sont autant les rues de la City que les vallons du Yorkshire qu’il distille. Le mot flanelle est ancien, venant de l’anglais « flannel », emprunté au gallois «   ». Techniquement, il s’agit d’un drap dont l’armure toile, plutôt lâche par essence, est estompée et cachée par une abrasion de sa surface, faisant apparaître un léger couvert duveteux. De ce fait, la flanelle n’est pas un tissu très solide.

Un tissu d’été ?

Au XIXème siècle, la flanelle s’opposait aux serges peignées et autres gabardines ou grains-de-poudre beaucoup plus denses. De ce fait, la flanelle était considérée comme plus légère et respirante, et donc un tissu d’été, ce qui prête à sourire de nos jours ; voire même de sous-vêtement, pour éviter « les refroidissements, causes de tant de rhumes et de pneumonies », nous apprend Le Petit Larousse de 1900. Une mode qui arriva en France « lors de la grande invasion du choléra de 1832 ».

Vers Breslau en Pologne

Comme il ne faut jamais confondre la matière et la manière de tisser, précisons que la flanelle est donc une manière de tisser. Et qu’elle peut-être faite de diverses matières, même si elle est généralement constituée de laine. On peut trouver aussi de la flanelle de coton, en fait assez similaire à de la moleskine. Au XIXème siècle, vers Breslau en Pologne, existait aussi une flanelle d’aiguilles de pin maritime. Enfin chez les Américains, une « flannel » désigne en fait une chemise à grands carreaux, réalisé dans un coton ouaté, par ellipse du langage.

Fini la laine qui gratte

Nos aînés ont généralement en horreur la flanelle. Ils ont le souvenir d’une matière qui grattait affreusement leurs cuisses de petits garçons que leurs mères voulaient voir bien emmitouflés. C’est pourquoi lorsque dans les années 1950 et 1960 les matières synthétiques comme le Tergal sont arrivées, les ventes de flanelle se sont effondrées. Les lainiers ont vigoureusement réagi pour ne pas se laisser distancer. C’est ainsi qu’apparurent les super 100 à l’orée des années 1980.

Fini la laine qui gratte, bonjour la douceur et la souplesse. Véritable révolution copernicienne dans l’industrie, ces nouveaux standards de qualité ont permis à la flanelle de revenir progressivement sur le devant de la scène. Et force est de constater qu’une flanelle actuelle est plus douce qu’un 100% cachemire d’il y a 30 ans.

Original Woolen Flannel 

Ce sont surtout les drapiers italiens qui l’ont remis au goût du jour. Son aspect chiné et feutré correspond à une esthétique transalpine qui fantasme ce qui est « british ». D’une certaine manière pourrait-on dire, ils ont sauvé une bonne part des traditions anglaises en les mettant à jour, flanelle comprise. évidemment, une flanelle italienne sera plus souple et légère.

Les tisserands Vitale Barberis Canonico avec leur « Original Woolen Flannel » et Loro Piana avec ses qualités « Favola », mêlées de cachemire, proposent des flanelles d’une somptuosité sans égale. Un essentiel de la garde-robe à l’inverse, chez les Anglais, les flanelles présentent un toucher ordinairement plus sec.

Hiver après hiver

Le grand spécialiste Hardy Minnis privilégie une main plus broussailleuse et un poids plus élevé, comme d’ailleurs chez le plus traditionnel des « mills* », Fox Brothers, dont les flanelles authentiques se retrouvent chez Ralph Lauren ou Hermès.

Il en faut pour tous les goûts. Unie, dans une large gamme de coloris incluant beaucoup de gris et de bleus, avec une rayure craie plus ou moins estompée, ou même un beau et grand prince-de-galles, la flanelle se décline suivant les envies.
Tailleurs et maisons de prêt-à-porter ne cessent de la sélectionner, hiver après hiver. Pour un plaisir de douceur et d’onctuosité toujours renouvelé.

D’ailleurs le costume en flanelle est devenu un essentiel pour bien des jeunes. Quant au pantalon de flanelle, il continue évidemment d’être l’alpha et l’oméga de toute penderie qui se respecte ! Reste enfin à préciser une idée car sur internet, c’est un champ de foire, flanelle est bien un nom féminin. On dit « LA flanelle » !

*filatures en français.

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