Le tabac, sans modération

Lorsqu’il s’agit de parfum, le tabac s’avère être un ingrédient très prisé, révélateur de sophistication et d’élégance. Bonne nouvelle, il revient dans les flacons avec des créations qui éveillent l’imaginaire.

Oubliez les ambiances enfumées des cafés d’il y a quelques années. Le tabac qui se respire est un ingrédient très prisé en parfumerie. Et il ne s’adresse pas qu’aux fumeurs de havanes. Depuis quelques années, il revient envelopper de ses notes chaudes et miellées de nombreuses créations, quelle qu’en soit leur famille olfactive (orientale, boisée, chyprée ou fougère). Son absolu – désormais sans nicotine – est obtenu par l’extraction, à base de solvants, des feuilles de tabac provenant principalement des États-Unis (Virginie).

Ambigu et transgressif 

Le premier parfum à l’évoquer est Tabac Blond d’Ernest Daltroff, le fondateur de Caron. En 1919, le parfumeur associe cette note typiquement masculine à un œillet poudré, sensuel et féminin. Un sillage révolutionnaire pour l’époque ouvrant la voie à la famille olfactive des cuirs (incluant désormais le bouleau, l’ambre gris, le labdanum, etc.).

Une eau mixte avant l’heure mais peut-être trop en avance puisqu’elle ne rencontre que peu de succès auprès des hommes ; ce sont les femmes qui l’adoptent pour son côté ambigu presque transgressif. Tabac Blond devient l’emblème de leur émancipation. Pour les 100 ans de ce grand classique de la parfumerie, Caron l’associe en 2019 au patchouli – Tabac Noir – et en 2020 au chocolat – Tabac Exquis. Trois créations qui font désormais partie des Eaux Merveilleuses de la maison.

De l’élégance, un côté “noble”

« Il y a un petit goût d’interdit à l’utiliser, explique Pierre Guéros, nez depuis 20 ans chez Symrise Fine Fragrance. Comme les notes de café ou de chocolat, son histoire est incroyable et universelle, son imaginaire ultra riche. Il peut évoquer un fumoir anglais si on l’associe à de la lavande ou du patchouli, le voyage et l’Orient avec des gousses de vanille, la mer avec du rhum brun et des épices. C’est une note versatile qui peut se fondre dans tous les styles. » Y compris les « punks et poètes » (sic.) d’Outcast Blue, le jus de la maison Ex Nihilo, qui l’associe au safran, poivre noir et vétiver.

« Le tabac donne une élégance aux fragrances, un côté “noble”», explique encore le parfumeur. On se souvient de l’emblématique Tabac Original (1959), un jus intense et viril, et des très chics voire un brin statutaires Tabarome Millésime de l’Anglais Creed (2000) et Tabacco Toscano de Santa Maria Novella (2008).

De l’absolu au tabac suggéré

Si le tabac reste une note sombre, les parfumeurs se le réapproprient désormais en l’associant à des ingrédients gourmands. « Je souhaitais revisiter la composition classique d’un “tabac” en créant un sillage surprenant autour du paradoxe d’un narguilé froid, explique François Demachy, le nez des parfums Christian Dior, à propos du récent Tobacolor. J’ai enrobé les délices et les excès de la fumée du tabac de notes fruitées et sucrées, chaleureuses et joyeuses. »

Chez BDK Parfums, avec Tabac Rose, l’opulence du tabac, renforcée par la prune et le chocolat, rencontre la rose turque. Dans Velvet Tonka, l’absolu donne un côté miellé à la fève de tonka. Mais, souvent, dans les fragrances, le tabac est suggéré. C’est d’ailleurs le cas de Tabac Blond qui ne possède pas une seule feuille de tabac. Le ciste labdanum et l’essence de styrax donnent cet effet fumé. Diptyque utilise la fève tonka pour donner à son Orphéon ce côté « club de jazz des années 60 ».

Et dans Volutes, c’est l’opopanax (un petit buisson du Moyen Orient) qui diffuse son ambiance « années 30 et porte-cigarette ». Pour Tabac Tabou de Parfum d’Empire, ce sont l’immortelle et le foin frais. Avec son odeur de paille sèche, la coumarine, contenue dans la fève tonka, évoque aussi ces effluves de tabac. Une chose est sûre, s’il n’y a pas de fumée sans feu, dans les parfums, il peut y avoir du fumé sans tabac.

 

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