Le mauvais goût de Nicolas d’Estienne d’Orves

L’auteur conjure le « politiquement correct » ambiant avec son Dictionnaire amoureux du mauvais goût. Une ode au kitsch et au second degré.

© Bruno Klein

Après un Dictionnaire amoureux consacré à Paris, Nicolas d’Estienne d’Orves s’est attaqué à un monument : le mauvais goût. Normal, direz-vous, pour ce nostalgique, amateur d’andouillettes et de nœuds papillon bigarrés. Mais la tâche n’a pas été aussi simple car comme il l’explique : «Nul n’est plus fuyant que le mauvais goût. Tout comme le bon goût, il est relatif, circonstanciel, ancré dans son temps. » Il peut être aussi « un racisme de classe » tout comme une « profession de foi artistique ». L’auteur a donc dû faire des choix parmi la myriade de mauvais goûts existants, faisant fi de ses doutes tout comme des nombreuses suggestions que son honorable inventaire suscitait auprès de son entourage.

« Le mauvais goût ne se partage pas », écrit-il péremptoire. Tenter d’en donner une définition est impossible selon lui. « Le mauvais goût, c’est le sien, celui de l’autre, c’est la subjectivité même. » Nicolas d’Estienne d’Orves livre donc, ici, « son » mauvais goût, celui façonné dès son plus jeune âge sous Giscard, puis lors de son adolescence sous Mitterrand. Autant dire un univers fait de contrastes où tout y passe : souvenirs intimes, vieilles émissions de télé, films, livres, plats, artistes, attitudes…

« Elle suçait mal mais elle avalait bien. »

Un autoportrait drôle et provocateur qu’il dédie à Joseph Pujol, star pétomane du XIXe siècle, « notre maître à tous », précise-t-il. Du second degré, il en est beaucoup question dans cet abécédaire de près de 600 pages. Exemples avec « le frisson métaphysique de l’andouillette solitaire », la Chapelle Fistine de la bien connue Fistinière ou encore l’ode à Didier Super, « reliquat de la flamboyance harakiriesque », dont le tube phare a pour refrain : « Les Arabes c’est comme les lesbiennes et les drogués, y en a des biens, y en a des biens ».

Au fil des différentes entrées, on apprend que Nicolas adore les films de Joël Séria avec Jean-Pierre Marielle, La Chance aux chansons, un « p’tit  McDo » de temps à autre – « l’invariabilité du goût agit comme un tranquillisant sur [sa] conscience » –, la taxidermie – « un sacrifice envers quelques divinités cannibales » –, les canulars de tout poil, les effeuillages kitsch de Dita Von Teese ou encore La grosse bite à Dudule et autres « scies obscènes qu’il est toujours amusant de fredonner au terme d’un dîner ». Il fait d’ailleurs une entrée sur le poète pornographe Pierre Louÿs dont il aime citer les vers : « Elle suçait mal mais elle avalait bien. » Shocking ?

Sofia Coppola ? « Une vieille vestale bobo. »

Nicolas n’est pas là pour faire dans la finesse ni le politiquement correct. Et on sent qu’il s’y donne à cœur joie avec un côté « tête à claques » très assumé. En atteste l’entrée « écriture inclusive » dans laquelle il s’est amusé à retranscrire un poème de Charles – « Charl-otte-es » – Baudelaire, extrait des Fleurs « de la/du femelle/ma.^.l.e ». Pas sûr qu’il ne se fasse que des ami.e.s, Nicolas. S’il raconte le mauvais goût qu’il aime, il détaille aussi celui qu’il n’aime pas. Le mauvais goût de notre époque et qui constitue, à ses yeux, « une insulte à l’esprit […] et à la liberté d’être ». Extraits.

Botox ? « Des faux visages d’enfants de cire […] perclus de rhumatismes, avançant à pas comptés, incapables de grimacer de douleur lorsque leurs articulations jouent des castagnettes. » Sofia Coppola ? « Une vieille vestale bobo. » Miss France ? « Les catacombes du néant. » La Vie sexuelle de Catherine M. ? « Un croque-mitaine parfait à exhiber aux enfants rétifs devant l’hygiène : “Va prendre ton bain sinon tu finiras comme la dame !” » Véganisme ? « Une ambulance qu’on ose plus viser. » Selfie ? « La vie à reculons ». Vêtements confortables ? « Informe, balançant entre le souple et le flasque ».

Anne Hidalgo, la FIAC, les fêtes de fin d’année, Omar Sy… Même le K-Way, jugé comme « l’accessoire incontournable du bobo postmoderne », en prend pour son grade. Vous l’aurez compris, ce livre fera rire autant qu’hérisser les poils. Mais comme disait « Charl-otte-es » Baudelaire : « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire. »

Par Hélène Claudel

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