chic même en dessous

Autrefois purement utilitaires, les sous-vêtements pour homme sont devenus un accessoire de mode et parfois de séduction. à travers les années et les changements, c’est toute l’évolution de la masculinité qui transparaît.

Pendant la Guerre du Golfe, l’armée US a dépensé 14 millions de dollars pour développer un tissu de sous-vêtement à nanoparticules spécial « anti-saleté ». Pourquoi ? Parce que « la plupart des pertes [d’effectifs] était due aux infections bactériennes », explique le professeur qui a mis au point ce super slip. Cette anecdote pour démontrer à quel point les dessous peuvent être d’une importance capitale. Mais ça, vous le saviez déjà, chers lecteurs.

Protection hygiénique et thermique, anti-frottements et irritations, maintien sans compression… Ils sont le gage du bien-être de vos parties intimes et donc de votre confort tout entier. Ils sont au quotidien votre plus grand soutien.
Essentiels, ils ont pourtant toujours souffert d’une grande injustice sociale. En effet, s’il y a bien une inégalité entre homme et femme, c’est celle des sous-vêtements. Cachés, utilitaires et bon marché chez le premier, ils s’affichent de mille et une manières chez la seconde entre mode, luxe et séduction. Mais les choses changent.

Le boxer en tête

Si le marché masculin est encore cinq fois inférieur à celui de la femme, il est de plus en plus dynamique. Certes, il a accusé une légère baisse en 2015 (un peu comme l’ensemble du prêt-à-porter) avec un chiffre d’affaires de 575,3 millions d’euros (596,5 en 2014). Mais malgré tout, les ventes ont augmenté (à cause des politiques de lots et circuits à bas prix). Au total presque 104 millions de pièces se sont vendues en France l’année dernière avec en tête le boxer (62 %), le slip (23 %), qui connaît un retour en force « virilo-cool », et le caleçon (15 %).

Notons au passage que ces chiffres corroborent avec l’ordre des sous-vêtements les plus sexys établi par les femmes selon une étude du site de rencontres extra-conjugales Victoria Milan. Cette étude précise aussi que 65 % « des épouses infidèles ont avoué être agacées par le fait que leur mari porte de vieux sous-vêtements décolorés ou troués ». L’étude ne dit pas si ce « défaut de slip » a un lien avec l’adultère en question mais dans le doute, on vous donne l’info. Vous aurez été prévenu.

D’autant qu’aujourd’hui, l’offre ne cesse de se diversifier. De plus en plus de marques viennent booster le secteur. Certaines n’hésitent pas à s’armer d’une égérie, Rafael Nadal pour Tommy Hilfiger, David Beckham pour H&M, Christiano Ronaldo ou Calvin Harris pour Armani, James Rodriguez pour Calvin Klein… Un bon moyen de rendre encore plus désirable le petit bout de tissu.

Imprimés toile de Jour coquine

Face à ces mastodontes et aux géants spécialisés tels que Dim, Eminence, Athena ou Hom, depuis quelques années, une multitude de marques plus confidentielles se développent. McAlson, Clémence de Gabriac, Pull In et plus récemment Naked Underwear, Le Slip Français, Dagobear, Garçon Français, Sixtine’s… Toutes apportent fantaisie et raffinement à un univers plutôt dominé par le gris, le noir et le blanc. Même Aubade, connu pour ses leçons de séduction féminines où « il faut regarder dans les yeux », a lancé en 2012 des collections capsules de boxers surfant sur la séduction. Au programme : imprimés toile de Jouy coquine et scénettes fétichistes.

Les années 80 marquent le début de « l’objétisation » du corps masculin comme le démontre sans détour cette publicité pour la maison Eminence.

Mais surtout, le grand bouleversement du secteur est que de plus en plus d’hommes achètent seuls leurs sous-vêtements. Ils seraient plus de 60 % alors qu’il y a encore 10 ans, les femmes étaient les clientes majoritaires. Et on ne parle pas des années 70…

Andy Warhol avait même conclu, à cette époque, un jour où il s’était retrouvé le seul homme au rayon sous-vêtements chez Macy’s : « C’est à cela qu’est réduit le mariage, ta femme achète des sous-vêtements pour toi ».

Aujourd’hui, un mariage sur deux finit en divorce… et les hommes que ce soit par obligation ou par choix, se sont appropriés cet achat. Et quand ils achètent, ils dépensent : le ticket d’entrée est plus élevé que lorsque c’est madame qui lui offrait un lot de trois slips en promo chez Leclerc. Son budget moyen par an serait de 28 €. On est quand même loin des 131 € féminins. Mais on progresse.

Alors quoi, l’homme serait-il en train de s’émanciper ? « Oui, répond Régine Weimar, directrice générale de Hom. Il sort de son rôle de toute puissance, de son carcan. Il se libère. Désormais, lui aussi a envie de se sentir beau, de prendre soin de lui et de s’habiller comme il l’entend. Sur le terrain de l’apparence, homme et femme marchent de plus en plus côte à côte. »

« L’homme devient une femme comme les autres », conclut en plaisantant Dominique Seau, le patron du groupe Eminence et président de la fédération de la maille et de la lingerie. Selon lui, on est passé du « sous-vêtement fonctionnel des années 40 » à « l’accessoire de mode ». Un virage opéré dans les années 80 en même temps que « l’objétisation » du corps masculin.

Calvin Klein sera l’initiateur de ce mouvement. Il réinventa le slip classique en y brodant son nom sur la ceinture et en le mettant en scène dans des campagnes ultra sexy shootées par de grands photographes de mode comme Bruce Weber, Herb Ritts ou encore Steven Meisel. Surtout, il donne une saisonnalité à son underwear avec plusieurs collections par an.

Très mâle, très bien

Sous cette impulsion, en France, Dim s’attaque à l’homme en 1987 avec une collection de basiques « Très mâle, très bien ». La campagne est plutôt osée pour l’époque, elle présente un homme comme s’il était habillé, mais il est presque nu. La marque fêtera ses 30 ans en 2017 avec une réédition de son slip « Australien » (une version du slip kangourou). Le sous-vêtement comme accessoire de séduction, Hom ira plus loin dès les années 70 avec son mini-slip mais surtout en 2002 avec « 3001 lingerie d’homme », une appellation toujours utilisée pour désigner les sous-vêtements de la marque en dentelle, satin, tulle ou tissu transparent. Attention, hot. Certains diront : « pas très viril ».

Dans les années 90, c’est l’élastique des sous-vêtements qui devient un nouveau territoire d’expression lorsque le rappeur américain Mark Wahlberg affiche celle de son boxer Calvin Klein en une de Rolling Stone. La mode est lancée. Les ados, quel que soit leur horizon, s’emparent de ce « street gimmick ». Les amateurs de sport aussi. Toutes les grandes marques y vont de leur logo, jusqu’à Brooks Brothers, la maison presque centenaire qui habille tous les présidents américains (sauf Trump qui serait en Brioni). Cette tendance « je-montre-mon-slip » durera jusque dans les années 2000 et encore aujourd’hui, on trouve quelques jeunes irréductibles.

Le boxer du samedi soir

Moyens d’affirmer sa personnalité, les sous-vêtements ne se choisissent plus par hasard. « Les hommes décident de leurs dessous comme ils choisissent leur chemise, en fonction de leur tenue (jean, jogging, costume) », expliquent Fabienne Mallat, directrice artistique et communication de Dim. Mais pas non plus de grande excentricité. En général dans la commode masculine, on trouvera en majorité des sous-vêtements de tous les jours, noirs (ou bleus, soyons fous), quelques modèles sportifs et « le boxer du samedi soir », comme Dominique Seau aime surnommer ces pièces un peu exceptionnelles qu’on sort pour les grandes occasions (si vous voyez ce que je veux dire).

Dans tous les cas, « le confort reste le contrat de base », insiste Fabienne Mallat. Le fameux « maintien » doit être là. Loi de l’Attraction oblige. Et d’ajouter : « Les hommes sont très réceptifs aux nouvelles matières, aux performances, aux innovations ». Un acheteur concerné donc. Et il y a de quoi. Les nouveautés et avancées techniques ne manquent pas. On est très loin des « braies » et des chemises ramenées sous l’entrejambe du Moyen Âge ou des caleçons longs en laine, le tissu de prédilection des « vêtements d’hygiène », du XIXe.

C’est véritablement dans les années 20 avec l’avènement du sport que les sous-vêtements masculins se sont transformés en devenant plus légers, plus près du corps et plus soutenants. Est venue ensuite la grande question de l’ouverture de la poche. Aux USA, Coopers la voit verticale, en Y inversé exactement, avec son slip Jockey (1936) tandis que Munsingwear l’imagine horizontale (1937). C’est le slip kangourou que la marque Eminence popularisera en France. Une révolution.

Un slip toutes les 5 minutes

Hom lancera une version en 97, le H01 pour Horizontal Opening n°1. C’est encore le best-seller de la maison. Il s’en vendrait un toutes les 5 minutes dans le monde. Selon les termes de la marque marseillaise : « Il présente l’avantage de pouvoir extraire très facilement ce qui doit être extrait de la main gauche ou droite ». La liberté, quoi ! Bill Clinton a félicité la marque en personne. Monica a dû aussi apprécier l’« easy access », c’était un an avant le scandale.

Vêtement du dessous, désormais, certains se lâchent sous la ceinture. Couleurs et motifs se font plus audacieux même si le sobre prime toujours. Les matières aussi se perfectionnent. Quelques marques prémium comme Zimmerli ou Hanro utilisent de prestigieux tissus comme le coton Sea Island. On assiste aussi à l’émergence du bambou (Mariner, TheFrenchKiss) apprécié pour son élasticité et ses propriétés absorbantes et anti-microbiennes. Clémence de Gabriac, elle, a développé un coton bio sur une nouvelle ligne de ses fameux caleçons à maintien. « Nous respirons par la peau, jusqu’à ce jour nous n’avons pas la garantie que les traces de pesticides dans le coton disparaissent aux lavages », explique la créatrice.

Invisible, poids plume, à mémoire de forme

Hormis ces exceptions haut de gamme, la majorité des sous-vêtements est en coton- élasthanne. Ce qui fait le job au niveau aisance et maintien. Mais on constate de plus en plus l’arrivée de microfibres aussi douces, légères que performantes au service du confort. Le modal est la matière star. Toutes les grandes marques l’utilisent. Cette cellulose issue de la pulpe de bois offre beaucoup de tenue tout en étant ultra résistante et antibactérienne. En fait, la saleté et l’humidité restent en surface.

Naturelles ou synthétiques, ces microfibres façonnent de véritables « slips de compétition ». Et c’est la surenchère entre les marques. Invisible, poids plume, sans couture, à mémoire de forme, qui ne bouge plus grâce à des « powergrip »… C’est encore plus vrai avec les lignes sport : anti-chauffe, thermorégulateur, respirant, refroidissant. Par exemple, le modèle Trail de Hom mélange du nylon au charbon de café (!) pour une isolation thermique et des propriétés désodorisantes. Running, training, cyclisme… désormais, chaque sport possède son sous-vêtement approprié.

Du marketing certes. « Le marché est à ses prémices, il y a encore beaucoup de choses à faire », rappelle Cécile Vivier du Salon international de la lingerie.

Et force est de constater que ces produits et innovations soignent vos précieux attributs et même votre future descendance. Ainsi, Spartan a lancé des boxers protégeant votre fertilité contre les ondes électromagnétiques du téléphone portable grâce à un coton auquel a été incorporé des fibres d’argent pur.

De son côté, Mc Alson a inséré dans ses caleçons américains, une maille invisible en coton pour renforcer sans compression le maintien. Idem pour Sixtine’s qui utilise un polycoton qui ne froisse pas. Des slips-gaines avec de larges ceintures affinent la silhouette (2(x)ist). Des boxers avec des compartiments secrets permettent de ranger ses affaires là où personne n’ira chercher (Shomer-Tec). Il existe même des sous-vêtements filtrant les flatulences (Shreddies). Si, si. Un tissu en fibre de carbone actif supprimerait « 55 à 77 % des gaz », affirme la marque. Ça peut en sauver plus d’un (ou plus d’une pour celles qui subissent).

« Bonjour, je voudrais un bonnet A »

Même chose pour les slips ou boxers à effet « Wonderbra ». Andrew Christian, Spanx, Sloggi ou encore Hom proposent ces versions « push up » rembourrées ou à coque pour flatter la silhouette. La tendance n’est pas nouvelle. Dès le XIVe siècle, la braguette qui servait à recouvrir l’ouverture des chausses était rembourrée, histoire d’attirer l’attention sur son matériel et ainsi montrer qui était le patron. Il n’y a qu’à voir des tableaux de Charles V pour constater l’ampleur de l’attirail – pas très discret.

Des siècles plus tard, et la taille compte toujours autant. On est très loin d’avoir des références de « bonnets » pour les poches des slips ou des boxers comme il en existe chez la femme avec le soutien-gorge. Vous vous voyez demander : « Bonjour, je voudrais un bonnet A » ? La loose. Il ne manquerait plus qu’il y ait un complexe de la cabine d’essayage. Quoi qu’il en soit, on ne saurait que trop mettre en garde contre le deuxième effet Kiss Cool du push-up, c’est-à-dire lorsqu’on le retire. L’étude de Victoria Milan ne dit rien à ce sujet, mais on est à peu près sûr que ça ferait fuir la plus aguerrie des croqueuses d’hommes.

À Lire Histoire des sous-vêtements masculins par Shaun Cole, éditions Parkstone.


L’évolution du slip

les articles du moment