Delon, Ronet : une rivalité à la vie à la mort

Revoir Plein Soleil, Centurion ou encore La Piscine est l’occasion de retrouver deux félins. Belle gueule, jeunesse, même photogénie, tous deux incarnent, chacun dans leur style, un mythe glamour qui redéfinira, en plein âge d’or du cinéma, les codes de l’homme moderne.

1960. Deux hommes sont dans un bateau. Un splendide voilier fait d’acajou, d’acacia et de chêne. Une merveille sur laquelle ces deux jeunes premiers – dont l’un, Maurice Ronet, ne l’est déjà plus tout à fait et l’autre, Alain Delon, veut à tout prix s’affirmer comme tel – rivalisent de charme et d’élégance. Le film Plein Soleil deviendra une légende mais elle sera aussi et surtout celle de deux acteurs appelés à incarner chacun dans son style et pour longtemps une certaine idée de l’homme.

Désinvolte et fragile

À tribord donc, Ronet, déjà une vingtaine de films à son actif, séducteur et ô combien séduisant mais pas seulement, un savant mélange d’aisance presque désinvolte et de fragilité quasiment assumée, avec une disposition certaine pour les indissociables attributs masculins de l’époque : belles voitures, jolies femmes, table chez Castel…

De l’instinct à revendre

À bâbord, Delon, presque encore gamin et une poignée de films en poche, mais de l’instinct à revendre et un physique auquel il ne manque même pas la légère touche de canaillerie qui le rend déjà irrésistible : plaire est sa façon à lui de respirer, le souci de sa seule personne, une manière d’être.

Ces deux hommes – ils ne le savent pas encore mais l’envisagent éventuellement pour l’un et l’ambitionnent certainement pour l’autre – élaborent, au beau milieu de la Méditerranée, un mythe « glamour » que rien ne viendra jamais altérer et établissent, chacun par leur seule façon d’être, les nouveaux codes masculins.

À la vie à la mort

Car il faudra choisir, dès la première scène, entre la virilité authentique mais vulnérable de Ronet et l’ardeur équivoque mais désirable de Delon : torse bronzé sur une chemise en daim caramel très décolletée contre chemise bleu ciel à col button-down portée serrée, mocassins blancs contre mocassins
à mors, seuls des pantalons slim fit les rapprochent alors.

Une même photogénie, deux garçons aux apparences presque antagonistes qui crèvent littéralement la pellicule…

Leur rivalité est lancée à la vie à la mort et c’est à celui qui imposera le plus durablement son style.

Les costumes de Louis Malle

L’aîné des deux – huit années les séparent – est le plus fidèle quant à ses goûts : Maurice Ronet n’est en effet jamais autant lui-même que lorsqu’il joue le rôle-titre dans Le Feu Follet. Il porte pour l’occasion les costumes de tweed ou de flanelle parfaitement coupés appartenant à… Louis Malle, le réalisateur du film. La scène où l’on voit l’acteur choisir soigneusement sa tenue, chemise visiblement sur-mesure, cravate, boutons de manchette… jusqu’aux souliers, est un véritable manifeste de l’élégance naturelle et sans artifice qui caractérise Ronet. Ajoutons à cela une Jaguar type E ou une Aston Martin DB4 dans la « vraie vie », et l’on obtient une allure très masculine qu’il affiche aussi bien à la ville qu’à l’écran.

Trench-coat et Borsalino

Alain Delon est lui un narcisse qui paraît moins préoccupé de sa mise que de son apparence, car sa beauté indiscutable est toujours en mouvement, semble se suffire à elle-même et échapper à toute loi. Il ne se révèle donc jamais mieux que dans les costumes qu’il endosse pour des rôles entrés aujourd’hui dans la légende : l’inoubliable aristocrate garibaldiste dans Le Guépard ou le tueur à gages solitaire et magnétique dans Le Samouraï, pour lequel il porte le trench-coat et le Borsalino comme personne… Christian Dior (pour l’« Eau Sauvage ») et bien d’autres marques notamment en Asie ne s’y tromperont pas et verront en lui l’image idéale à laquelle de plus en plus d’hommes aimeraient s’identifier.

Au volant d’une Maserati Ghibli

Mais, les années passant, les femmes continuent de préférer Ronet – d’Anouk Aimée à Anna Karina en passant par de belles inconnues, il accumule les conquêtes – et la compétition qui sourdait parfois à l’écran (Les Centurions en 1966) apparaît vraiment lorsqu’ils se retrouvent à Ramatuelle, en 1968, pour tourner La Piscine : les rôles-même qui leur sont attribués mettent clairement à jour leur différence, quand Maurice/Harry débarque au volant d’une Maserati Ghibli, il séduit encore par sa troublante désinvolture et vient perturber la (trop) belle assurance d’Alain/Jean-Paul… Car, comme dans Plein Soleil, une femme est au centre du jeu et c’est toujours de conquête qu’il s’agit. Chacun au comble de son éclat, c’est encore l’eau qui est témoin du duel qu’ils se livrent et il suffit de comparer leur façon d’y plonger – l’allure impeccable et maîtrisée du cadet contre le saut fantaisiste de l’aîné – pour comprendre que Delon a gagné la partie et que, désormais, l’avenir lui appartient. Il sera une icône pouvant tout jouer, de Borsalino à… Zorro.

Testarossa contre Lamborghini

D’autres films suivront – nombreux pour l’un, de plus en plus rares pour l’autre – au travers desquels ils prolongeront le plaisir de se mesurer, mais Alain est au sommet de sa célébrité, porte des costumes croisés et roule en Ferrari Testarossa, alors que Maurice s’enfuit de plus en plus souvent au volant d’une Lamborghini vers sa maison du Luberon pour enfiler simplement un gros cardigan ou une peau lainée… De la distance, encore de la distance ! Trop, peut-être… Car lui n’a jamais eu de plan de carrière, non plus que le talent de son cadet, pour faire de chaque film une pierre supplémentaire dans l’édifice de sa renommée : il se détourne alors peu à peu des caméras, presque par lassitude, par manque de rigueur aussi car il ne sait pas choisir les rôles qui au tournant des années 1970 le placeraient durablement au centre de l’écran.

Pourtant… La gloire est une course de fonds et Maurice Ronet – il meurt à 56 ans – n’aura lui pas le temps de s’y user vraiment, au contraire d’Alain Delon, dont la carrière a commencé à décliner depuis le début des années 1980 : le 21 mars 1983, en l’église Saint-François de Sales, celui-ci, un peu à l’écart, pleure l’ami et le rival mais surtout le complice d’un âge d’or qui les vit affronter leur jeunesse et leur beauté sans jamais pouvoir se départager.

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