Des Chiens et des Hommes

Churchill masquait les yeux de son caniche devant des scènes de films violentes. François Mitterrand exigea que son labrador assiste à ses obsèques. Michel Houellebecq fit une exposition hommage à son Corgi. Écrivains, politiques, stars de cinéma, artistes, ils sont tous fous de leur toutou. Quelle que soit l’époque, le chien reste le meilleur ami de l’homme… et un formidable outil de communication pour certains. Si seulement les chiens pouvaient parler…

||||Picasso et son teckel Lump, années 50.

«Le 25 mars au milieu de la nuit,/ Ton cœur s’est arrêté de battre/Et le monde est devenu plus terne. / Dors, mon petit bonhomme. /Que de belles escapades/Que d’amour./Merci petit Clément. » Cette épitaphe à faire tirer les larmes est celle du welsh corgi Pembroke de Michel Houellebecq.

Depuis 2011, le chien repose au cimetière animalier d’Asnières aux côtés de Rintintin et des animaux de compagnie d’Alexandre Dumas ou de Sacha Guitry. L’auteur polémique s’était offert ce petit Corgi en 2000 grâce à la sortie son premier best-seller, Les Particules élémentaires.

« Sa non-autonomie assumée fait de lui l’être le plus parfait de la création, avec quelques femmes très soumises », dira-t-il alors.

Le toutou le suivait partout, des plateaux télé aux remises de prix. Un fidèle compagnon qui constituait sans doute son unique point commun avec la reine d’Angleterre, elle aussi très friande des corgis Pembroke – elle en aurait eu plus d’une trentaine, tous issus (ou presque) de la descendance de Susan, son tout premier.

L’AMOUR ABSOLU

Houellebecq ne pouvait en rester là. En 2016, il rend hommage à petit Clément dans son expo Rester Vivant au Palais de Tokyo avec une salle entièrement dédiée. « Michel a voulu faire de ce chien la métaphore de l’amour absolu, expliquera le commissaire de l’exposition, cet amour que le chien nous porte ».

Gérard Depardieu, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Lambert Wilson, Francis Huster, Hugh Jackman, Alec Baldwin, Jake Gyllenhaal ou encore Aznavour, Noiret, Sinatra, Picasso, Bogart, Hemingway… Comme le commun des mortels, les stars n’échappent pas à cette affection canine, à ce lien qui peut être si puissant.

David Hockney ne quitte jamais ses deux teckels. Il leur a rendu hommage sur plusieurs toiles. ©Palais de Tokyo

La solitude parfois de la célébrité les conduirait même peut-être à les aimer davantage… Loin très loin de la vedette à chihuahuas, ils sont nombreux, ces hommes de lumière à avoir partagé ou à partager encore leur intimité de façon très intense, voire passionnelle, avec un compagnon à 4 pattes.

Si seulement les chiens pouvaient parler… Témoins, confidents de vie, ils nous livreraient les secrets des plus grands, tout ce qui ne se dit pas dans les livres et les journaux. Ainsi, Michel Drucker, l’homme au canapé rouge, vit depuis 2013 avec Isia, une petite chienne border collie originaire de Roumanie, comme lui.

Elle ne le lâche pas d’une semelle. « Son regard… Ce n’est pas un chien, c’est un être humain », lança-t-il sur le plateau de TPMP* quelques mois après l’avoir adoptée. Isia a une page Facebook où elle raconte à ses quelques 1 700 fans ses aventures – avec son « papa ». Ce dernier, d’ailleurs, confie dans une vidéo : « Isia, c’est ma vie ! ».

TÉLÉPHONER À SON LABRADOR

Même approche anthropomorphe pour Jacques Garcia avec son petit Léon. S’il vit désormais avec un lévrier, le grand décorateur à qui l’on doit les ambiances du Costes à Paris, de la Mamounia à Marrakech ou du NoMad de New York, vouait une grande passion à son jack russell.

« Un petit chien qui a tout d’un grand, confia-t-il un jour. C’est le contraire d’un chien à sa mémère. Il est actif, efficace, amoureux, passionné, intelligent… Je dis souvent que c’est l’homme le plus intelligent que je connaisse… » La phrase peut surprendre.

Même passion pour Michel Houellebecq avec son corgi Clément. Il lui consacra tout un espace en 2016 dans son exposition au Palais de Tokyo. ©Palais de Tokyo

Et que dire de Buster Keaton, le roi du cinéma muet, qui engagea un détective privé pour retrouver son saint-bernard, Elmer, ou de Rudolph Valentino, le sexsymbol américain, qui possédait pas moins de 14 chiens dans sa propriété de Beverly Hills dont le doberman Kuba offert par son amant Jacques Hébertot.

« Un chien d’homme pour l’homme d’un homme », dira le directeur de théâtre, amoureux. Quant à Alfred Hitchcock, le maître du suspense mettait à disposition de ses terriers Sealyham un coussin « spécial » pour qu’ils puissent dormir entre lui et sa femme. Kevin Spacey, lui, ne pouvait s’empêcher de téléphoner à son labrador, Legacy, lorsqu’il dut s’absenter pour le tournage de The Iceman Cometh à Londres.

Côté écrivain, il n’y a pas que Houellebecq qui est le meilleur ami des bêtes. James Ellroy, le grand spécialiste du roman noir, le reconnaîtra : « les chiens sont une obsession ». Auraitil dû préciser « les bull terriens anglais » ? Il en possédait deux : Barko et Dudley. « Ils sont juste magnifiques, des animaux magnifiques. » Et même s’ils ont « une tête en triangle » et « ont tendance à se battre avec les autres chiens ».

Moins agressif, et surtout plus chic, Tom Wolfe ne pouvait s’entourer que d’un jack russell rappelant ainsi ses influences anglaises. L’animal, baptisé Strawberry, était indissociable de l’écrivain.

Un petit livre illustré qui fourmille d’anecdotes sur la relation des célébrités avec leur chien. Men & Dog, a personal history from Bogart to Bowie par Judith Watt et Peter Dyer, éditions A Sort of book, 2005. ©T-H. H

PLUS SAINS QUE LES HUMAINS

Les chiens ont su aussi attendrir le monde de la pop : Paul McCartney, en admiration devant son berger anglais Martha, composa le célèbre tube qui rythma les sixties, Martha My Dear, tandis qu’Andy Warhol immortalisa Moujik, le bulldog d’Yves Saint Laurent, dont la dynastie s’étendit à quatre générations. David Hockney, lui, rendra hommage à ses deux teckels, Stanley et Boodgie, dont il ne se sépare jamais, encore aujourd’hui.

Et Gainsbourg aimait tellement sa petite chienne Nana, un bull-terrier anglais, qu’il avoua en 1976 à 30 millions d’amis lorsqu’il la perdit en Espagne « je n’ai jamais été aussi malheureux que depuis la mort de mon père. […] C’est l’oxygène qui m’a manqué ». Une relation si fusionnelle que c’est à se demander si le cabot ne fumait pas, lui aussi, des gitanes.

Même Freud était un amoureux des chiens. Ou plutôt de son chow-chow Jofi qui assistait à toutes ses séances de thérapie, et dans lequel il voyait une présence si apaisante pour ses patients. Un être bien plus sain que la plupart des humains, selon lui. « Il aime ses amis et mord ses ennemis, à la différence des hommes qui ne sont pas capables d’amour pur, qui doivent toujours mixer l’amour et la haine dans leurs relations. »

LE DOG FISHING

« Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien », disait Pierre Desproges. En effet, dévoués et fidèles, les chiens aiment sans condition et font preuve d’une immense empathie à l’égard de leur maître.

Et il n’est pas rare que ces derniers le considèrent comme un membre de la famille à part entière. Freud parlait même d’amour filial « sans aucune ambivalence, ni aucune composante d’hostilité ».

Le fameux « amour absolu » dont parlait Houellebecq. Depuis des millénaires, l’homme et le chien se comprennent. Animal social, il est capable d’émotions et de les exprimer, c’est cela, qui nous les rend si proches. On peut communiquer ensemble. Le chien touche, déstresse, valorise et rend plus fort. Surtout, il ne trahit jamais. Son mutisme permet la plus grande loyauté.

Moujijk, le bulldog français d’Yves Saint Laurent, immortalisé par Andy Warhol au musée YSL. ©Musée Yves Saint Laurent

Serait-ce pour cette raison que la plupart des hommes politiques et particulièrement les chefs d’état se sont entourés de leur compagnie ? Sans doute. Mais le chien incarne aussi un formidable outil de communication. Un peu comme « le dog-fishing », cette tendance sur les sites de rencontres visant à se photographier avec un chien pour attirer davantage les femmes. Le pire, c’est que ça fonctionne…

En politique, c’est pareil : le chien attendrit. Il évoque la stabilité, il rassure, donne l’image idéale d’un président bon père de famille, sympathique et soucieux des autres. Alors, lorsqu’on adopte, comme Emmanuel Macron, un labrador croisé griffon noir – un bâtard ! – issu d’un refuge de la SPA, le message envoyé aux Français est clair.

©Boutique.Elysee.fr

Emmanuel a le cœur sur la main, il sera là, là pour tous les Français sans exception. En attendant, Némo est disponible en version peluche sur la Boutique de l’Élysée (99 € tout de même).

Depuis trois mandats, les traditionnels labradors de l’Élysée étaient fournis par un vétérinaire canadien, François Lubrina. Avec Macron, c’est le changement, la rupture. Encore que… Pompidou avait un labrador noir baptisé… Jupiter.

C’est Valérie Giscard d’Estaing qui, le premier, initia cette communication canine en se faisant filmer avec son braque Jugurtha et son labrador Beauty.

François Mitterrand lui emboîta le pas avec son labrador Baltique. Il y était très attaché.

Chaque année, l’animal l’accompagnait dans son ascension rituelle de la Roche de Solutré. Son affection pour cette chienne était telle qu’il souhaitait qu’elle assiste à ses propres obsèques. Volonté exaucée, sauf qu’elle resta devant l’église de Jarnac, tenue en laisse par Michel Charasse…

LE CHIEN DEVIENT UNE MASCOTTE

Lors de son second mandat, Jacques Chirac rompt avec la tradition du labrador en adoptant un bichon maltais blanc, baptisé Sumo en l’honneur de la discipline japonaise qu’il affectionne. Beaucoup moins majestueux qu’un labrador mais toujours plus doux qu’un roquet hongrois, ce « chien par alliance », puisqu’il avait été offert à Bernadette, « collait bien avec l’image sage qu’il voulait alors donner », note l’historien Christian Delporte.

Le chien devint une mascotte qu’on voit encore courir sur le plateau de Vivement Dimanche de Michel Drucker. Mais le bichon n’aurait pas supporté de quitter l’Élysée et aurait mordu son maître jusqu’au sang. Du passage à l’Élysée des trois toutous de Sarkozy (Clara le labrador, Toumi le chihuahua et Dumbledore le terrier), on se souviendra d’une ardoise de 6 600 € ; les bêtes s’étant fait les crocs sur le mobilier historique du Salon d’argent.

Emmanuel Macron et son labrador Nemo (disponible en peluche)… ©AFP – Alain Joacard

Quant à François Hollande, sa chienne labrador Philae, offerte en 2014, est toujours à ses côtés et à ceux de Julie Gayet. Récemment, il a d’ailleurs posté sur Instagram une image très présidentielle (voire présidentiable) de lui, assis à son bureau, les drapeaux de la France et de l’Europe bien visibles en arrière-plan et le labrador noir allongé à ses pieds. Le message : « Rentrée studieuse dans nos bureaux rue de Rivoli ». Un peu plus et on se serait cru à l’Élysée, la déco dorée en moins.

Si Donald Trump n’a pas de boule de poils (mis à part sa houppette blonde), depuis cent vingt ans, tous les présidents américains s’affichent avec un « First Dog of the United States » ; un folklore venant égayer gentiment la vie de la Maison Blanche.

Les Obama avaient deux chiens d’eau portugais tout bouclés, Bo et Sunny, formant avec leurs deux adorables fillettes, la famille américaine parfaite. On les voit jouer au ballon avec le président sur les pelouses de la Maison Blanche ou dans ses couloirs… Bo a même une chronique sur le site officiel de la Maison Blanche.

Il signe les cartes de vœux de la présidence, sort un livre pour enfants… George Bush, lui, ne jurait que par son Barney, un terrier écossais noir, devenu lui aussi une mascotte. « C’est le fils que je n’ai jamais eu », disait-il, sans rire.

À Camp David où le toutou passait son temps à chasser les balles de golf, à la Maison Blanche, dans le ranch texan de Crawford ou à la pêche au bar une fois retraité, Barney a été pendant douze ans aux côtés du républicain. « Il ne parlait jamais politique et a toujours été un ami fidèle », écrit l’ancien président dans l’hommage consacré au « Bush family pet » sur son site internet BushCenter.

Sur Instagram, le 10 septembre dernier, on voit François Hollande à son bureau avec le labrador au pied. Une image apaisée très présidentielle. ©Instagram – FHollande

LE ROYAL CANIN

On se souvient aussi de Bill Clinton et de Buddy, son inséparable labrador couleur chocolat qui fut le seul du clan Clinton à ne pas lui tourner le dos lors du scandale Lewinsky ; de Laddie Boy, le chien du président Warren Harding qui disposait de son propre siège à la table du conseil des ministres ; de Lucky, le welsh terrier de JFK mais surtout de Fala, le terrier écossais de Franklin Roosevelt, son ombre.

En 1941, on le retrouve aux premières loges de la signature de la charte de l’Atlantique entre son maître et Winston Churchill. Ce dernier était d’ailleurs lui aussi éperdu de son caniche miniature répondant au nom de Rufus. Il le considérait comme un membre de sa famille. L’animal dînait dans la salle à manger, sur une couverture à ses pieds et impossible de commencer le repas tant qu’il n’était pas servi !

Le premier ministre britannique lui aurait même caché les yeux avec sa main devant un passage d’Oliver Twist. Celui où Bill Sikes noie le bull-terrier Bullseye… La plupart des aristocrates, parce qu’ils se sont longtemps réservé les loisirs de la chasse, entretiennent un lien particulier avec les chiens.

Barack Obama et ses chiens d’eau portugais. Le « First Dog » est devenu une tradition chez les présidents américains et un outil de communication. ©Instagram – BarackObama

Du prince Henrik de Danemark et ses teckels qui ont assisté à ses obsèques à Albert de Monaco, tous leur vouent une grande amitié. Impossible de ne pas évoquer ici Édouard VII et son fox terrier blanc.

Sur son collier était écrit : « Je suis Caesar, j’appartiens au roi ». Ils ont parcouru l’Europe ensemble. Le souci, c’est que l’animal ne supportait pas qu’on approche trop près de son maître, ce qui n’a pas facilité les relations diplomatiques de la Grande-Bretagne…

Aux funérailles d’Édouard, Caesar fit pleurer l’Angleterre en suivant pas à pas le cercueil de son maître avec une mine abattue. Un compagnon de vie, ça ne se remplace pas. Le petit chien demeura inconsolable.

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