La révolution vertueuse du luxe

Désormais, les marques qui font rêver sont aussi celles qui font du bien à notre planète. Un changement de mentalité, une nouvelle manière de produire et de consommer.

||Gilet et pantalon Brunello Cucinelli, veste Crémieux, chemise Daniel Lévy, mi-bas Di Carlo, mocassins Santoni.||Veste écletic, chemise Gant Rugger, pantalon Salvatore Ferragamo, bracelets Cartier, montre Oris.||Pull et chemise Salvatore Ferragamo, cravate Cinabre, pantalon Bernard Zins, ceinture L’Aiglon.||Blouse en coton biologique,

Gucci a lancé des lunettes en « bois liquide »* et garantit son cuir zéro déforestation**. Le tout emballé dans des sacs en papiers certifiés FSC***. Stella McCartney, la pionnière dans la mode éco-responsable, recycle le nylon dans ses collections et propose du cachemire régénéré issu de déchets textiles. L’Italien Daniele Fiesoli, lui, le récupère le cachemire, et le retricote pour éviter une nouvelle teinture. Bottega Veneta utilise du plastique alternatif pour ses baskets. Daniel Lévy, de la nacre éco-responsable (traçable et certifiée) pour les boutons de ses chemises. Bernard Zins du coton organique dans ses jeans. Pour fabriquer ses magnifiques pulls en vigogne, Loro Piana a carrément sauvé cette espèce en voie d’extinction. Hermès fait de « l’upcycling », des objets de déco ultra chics avec les matières inutilisées dans les ateliers : concept Petit H. Et Karl Lagerfeld s’est inspiré de la Cop 21 pour son défilé haute couture l’année dernière.

Alors, ringard l’écologie ? On est très loin du bonnet péruvien qui pique tricoté au fin fond du Larzac par trois hippies. Désormais, le luxe et la mode savent être éco-responsables tout en restant glamour et désirables. Et on ne compte plus les marques qui s’engagent, invoquant la défense d’un monde plus vert, plus juste, plus éthique bref d’un monde meilleur.

L’ère de la « sustainability »

Le bling des années 2000 est bel et bien enterré ; aujourd’hui, place à la sobriété, à l’intemporel, à la « sustainability » (beaucoup plus chic que « durabilité »). Un mouvement de fond que l’on retrouve dans tous les domaines de notre société et qui s’inscrit, pour la partie mode, dans l’esprit de la « slow fashion », ce concept du « moins mais mieux » qui fait rage aujourd’hui face au ras-le-bol (et aux drames) de la « fast fashion ».

Ses fondements : la qualité bien sûr mais surtout la « responsabilité sociale des entreprises » qui la prônent. Autrement dit, le respect du développement durable. Précisons ici la notion, tant son emploi à toutes les sauces la rend floue. D’après les Nations unies (du sérieux), il s’agit : d’un « développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable ».

Ces trois piliers – économique, éthique, écologique –, certaines maisons – plutôt jeunes – en ont fait leur cheval de bataille. Et elles sont de plus en plus nombreuses à se lancer en pleine « éco-conscience ». Parmi elles, les baskets équitables Veja (qui fêtent déjà leurs dix ans), les lunettes en bois Waiting for the Sun, le workwear écolo Bleu Paname, les jeans vegan (sans gluten !?) Naked and Famous, la Maison Standard et sa mode hors saisonnalité ou encore éclectic. Le fondateur de cette dernière, Franck Malègue parle d’ailleurs du concept « Awareness » pour caractériser ses vestes et manteaux : une création durable, une fabrication artisanale locale (Italie) et éthique.

Quant aux marques plus installées du luxe, elles tentent plus que jamais de coller à l’époque et de faire entrer leur logo dans le cercle vert et vertueux. Longtemps, cette industrie a été taxée de polluante. Son ostentation et sa futilité semblaient incompatibles avec la notion de durabilité. Et pourtant. La problématique est depuis longtemps au cœur du développement des grands groupes. Mais en parler était prendre le risque d’être accusé de « green washing ». Aujourd’hui, ils n’hésitent plus. Ils sont prêts, ils ont les arguments pour et surtout « les réponses ».

« Le mutisme, le mystère qui entoure le monde du luxe ne fonctionne plus. On attend de ces entreprises la transparence. Ça ne fait plus rêver personne de ne pas savoir d’où vient telle peau ou telle matière », explique Barbara Coignet, fondadrice de l’agence de conseil 1.618 spécialisée dans le luxe durable.

Barbara est notamment à l’origine du premier Salon du luxe et du développement durable. Selon elle, depuis deux, trois ans, « il y a une accélération » de la prise de conscience du monde du luxe. Un engouement pour l’avenir de notre planète qui répond à la fois à des obligations légales comme celles de la loi Grenelle 2 (2010) qui imposent aux entreprises la publication d’un bilan carbone mais aussi qui colle aux exigences d’un nouveau consommateur de luxe désormais en quête de fond et d’intégrité.

Séduire les clients de demain, les nouvelles générations, les « millénials » si soucieux de sens et de valeurs, c’est aussi ça l’enjeu du développement durable pour les grands groupes. Et ils se donnent les moyens de ce nouveau défi. Désormais, ils l’intègrent dans leur stratégie de croissance dessinant peu à peu un nouveau modèle économique.

Un compte de résultat environnemental

« J’ai toujours entendu mon père me dire que quelle que soit sa taille, une entreprise a besoin de poursuivre une cause qui dépasse l’objectif de profits qui a été fixé. C’est une question de faire partie – ou non – de la société dans laquelle vous souhaitez faire des affaires », raconte François-Henri Pinault (Interview Bloomberg Business Week), patron de Kering, pour expliquer la conviction profonde de son groupe vis-à-vis du développement durable.

Ce dernier fait sans conteste figure de pionnier dans le domaine. Cinquante personnes travaillent à plein temps sur le sujet au sein d’un département dédié. Le groupe est le premier du secteur du luxe à être certifié et approuvé par le Science Based Targets pour ses objectifs de réduction d’empreinte carbone. Selon les critères (scientifiques) de cet organisme, Kering s’engage à réduire ses émissions de 50 % (et 40 % pour la partie achats de biens et services) d’ici 2025. Un compte de résultat environnemental a été mis en place pour mesurer et monétiser les impacts environnementaux de toutes ses marques. En 2013, ils étaient évalués à 773 millions d’euros. Ils seraient 40 % supérieurs sans toutes les initiatives du groupe. Et pour inciter ses marques, une partie de la rémunération des dirigeants de chacune d’entre elles est liée à la réalisation des objectifs fixés.

15 euros la tonne de CO2

Chez LVMH, même combat. On réfléchit aux problématiques environnementales depuis 20 ans. En 2013, le géant lance le programme Life pour structurer et fédérer ses actions. En 2015, il met en place un fonds de carbone interne financé par chacune de ses maisons en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre (15 euros la tonne de CO2). Six millions ont été récoltés en 2016 et permettront d’investir dans des équipements d’énergie green. C’est le cercle vertueux.

Toutes les marques du groupe multiplient les initiatives pour diminuer leur impact. Par exemple, Loro Piana en produisant 45 % de son électricité en interne, Hennessy en utilisant des fûts en bois issu de forêts certifiées PEFC (Programme européen des Forêts certifiées), Moët & Chandon des tracteurs électriques (T4E), Sephora et les maisons du pôle Parfum & Cosmétiques en triant, recyclant et valorisant leurs déchets, Berluti en formant les apprentis de son Académie sur les chutes de cuir non utilisées, Louis Vuitton en produisant dans des ateliers verts comme celui au toit végétal situé dans la Drôme (construit selon la démarche Haute Qualité Environnementale) pour sa maroquinerie, Guerlain en approvisionnant ses boutiques parisiennes avec zéro émission, Dior Couture en équipant toutes ses nouvelles boutiques d’un éclairage LED…

« Désormais, une marque de luxe, si elle veut continuer à être créatrice de rêve, elle n’a pas d’autre choix que de faire du bien, de protéger la planète et de s’inscrire dans la durée », insiste Barbara Coignet.

Les groupes Hermès, Zegna, Ferragamo, Prada, Brunello Cucinelli… que ce soit à travers une production durable, un mécénat écologique, des constructions green ou des politiques RH bienveillantes, tous placent « la responsabilité sociale des entreprises » comme un pré-requis.

Un or éthique et chrome free

Même la joaillerie a ses certifications. Le RJC pour « Responsible Jewellery Council » a été créé en 2005. Il s’agit d’une charte éthique garantissant l’origine responsable de l’or et des diamants, de la mine jusqu’à la distribution. Il est sûr que des images d’enfants travailleurs, de trafic d’armes et d’extraction au cyanure, ça ne fait pas rêver. Parmi ses adhérents, Cartier, Bulgari, Tiffany & Co., Chanel Joaillerie…

Dans sa collection Green Carpet, la maison Chopard, elle, utilise de l’or labellisé « Fairminded ». Idem pour le créateur JEM. Un or éthique, extrait par des exploitations minières artisanales et à petite échelle et qui permet de soutenir les mineurs et leurs familles dans le respect des valeurs du développement durable.

Dans la filière du cuir aussi, le développement durable est au cœur des préoccupations. Fournisseurs des plus grandes maisons, les tanneries ne peuvent se permettre aucune approximation. Si l’enjeu est ici de réduire la consommation d’eau et de matières toxiques, de nouveaux procédés se développent autour du « chrome free », une alternative au tannage minéral jugé toxique, sans métal lourd comme celui à base de titane complètement éco-friendly.

Le textile n’est pas en reste dans ce souci de durabilité, comme l’a observé Pascaline Wilhelm, à la tête de Première Vision, le grand salon du secteur. Ce n’est pas un hasard si depuis deux ans, ce dernier accueille la « Smart Creation », un observatoire international et un espace de discussions autour du développement durable ouvert à toute la chaîne de production pour trouver des solutions novatrices et responsables.

Une laine durable

Là encore, les grands groupes (mais cette fois de tissus) donnent l’impulsion. C’est le cas de Vitale Barberis Canonico, maison ancienne de 350 ans, qui a su mettre en place des innovations pour réduire sa consommation d’eau (36,5 litres par mètre de tissu, contre 50-60 pour le reste de la filière) et la purifier au maximum. La filature s’engage aussi sur une laine durable c’est-à-dire répondant à la charte éthique de l’IWTO (International Wool Textile Organisation) qui certifie la traçabilité, le bien-être de l’animal et le respect de l’environnement. Dans ce sens, la maison a créé le Vitale Barberis Canonico Wool Excellence Award récompensant les fermes d’élevage australiennes combinant le mieux qualité et développement durable.

 Albini, fournisseur de précieux tissus de chemises depuis 1876, est dans cette même démarche sociale responsable. Le groupe a investi dans l’énergie hydro-électrique mais aussi éolienne et photovoltaïque avec notamment une installation sur tout le toit de l’usine de Brebbia. Une collection de tissus premium en coton organique a également été mise au point. Nom de code : l’Ecotone. « Pour l’instant, malheureusement, la demande pour les tissus durables reste un marché de niche, explique Silvio Albini, le président du groupeLa sensibilisation des consommateurs est fondamentale pour la croissance de ce segment, ils ont une grande responsabilité car ils peuvent créer une demande de tissus écodurables de plus en plus importante. »

Une revendication citoyenne de plus en plus forte

On le voit du côté des enseignes grand public de plus en plus engagées face à une revendication citoyenne de plus en plus forte. Après les scandales de sablage de jeans, d’usines qui s’écroulent, de teintures toxiques… la fast-fashion cherche à se racheter une image. H&M multiplie les lignes « Conscious ». Inditex s’est engagé à éliminer entièrement d’ici 2020 les produits chimiques toxiques de sa chaîne d’approvisionnement. Le groupe a augmenté son recours au coton biologique (voir l’article de Kate abnett et Imran amed sur lemonde.fr).

Uniqlo, en plus de ses initiatives pour limiter son impact environnemental, organise, en magasin, un programme de collecte et de redistribution des vêtements pour les populations qui en ont besoin. Levi’s éduque les producteurs de coton à des pratiques agricoles plus durables permettant de réduire la consommation d’eau et de pesticides (Initiative Better Cotton) et s’attache à des techniques de finition (Water Less). Le géant du jean renforce son service de réparation et cherche un système pour recycler entièrement ses denim sans perdre en qualité finale, en faisant fondre le coton au niveau cellulosique.

Le début d’une économie circulaire

Des collections à partir de vieux jeans seront également créées, c’est pourquoi des bacs de recyclage vont être installés dans certaines boutiques aux états-Unis, Canada, Royaume-Unis et Japon. C’est le début d’une économie circulaire… Certains verront dans ces initiatives durables, un nouvel instrument marketing au service des marques. Peut-être. Mais l’important est d’aller dans le bon sens, non ? Aujourd’hui, aucune marque ne se risquerait au mensonge, au « green washing » ; Internet permet de tout vérifier ou du moins de tout divulguer.

Veste Crémieux, chemise Daniel Lévy, pochette Cinabre, jean Jacob Cohën.

Les 8 réflexes de L’élégant éco-responsable

1
Le mot d’ordre : « Consommer moins mais mieux »

2
Privilégier la qualité (belles matières, coupes impeccables) à la quantité pour favoriser la durabilité.

3
Acheter local ou dans un périmètre où vous savez que l’engagement social et éthique de la marque est avéré.

4
Choisir des pièces intemporelles, classiques, celles qui ne se démodent pas. Bref, des authentiques.

5
Bien entretenir ses vêtements, prendre soin de son dressing.

6
ne pas laver trop souvent ses vêtements, les faire sécher à l’air libre.

7
Recycler ses vêtements. dans la mesure où ils sont en bon état, vous pouvez les donner, les vendre, les échanger…

8
En été, choisir des tissus de couleur naturelle sans teinture. Moins le tissu est teint, moins il utilise d’eau et plus ils est éco-responsable. Pour un mètre de tissu en laine de couleur, il faut environ 50 litres d’eau. Lorsqu’il est blanc, il faut 19,5 l.


*Une fibre de bois issue de la production de papier et de cire naturelle
** Les cuirs sont garantis ne provenant pas d’élevages liés à la déforestation
*** Forest Stewardship Council

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