La sprezzatura italienne

Forts d’un artisanat au top niveau qui attirent tous les grands noms du luxe, les Italiens ont toujours pris la mode au sérieux. Ils incarnent la « sprezzatura », cette élégance, en apparence nonchalante mais qui est en réalité très étudiée.

Lapo Elkann, le petit-fils d’Agnelli, 35 ans, a su imposer aussi bien son style,

Si le monde entier est unanime pour reconnaître l’élégance des Françaises, côté masculin, ce sont les Italiens qui l’emportent haut la main ! Même si les inconditionnels se laissent parfois emporter quand ils disent « qu’en Italie, un chauffeur routier est plus élégant qu’un banquier chez nous » et que la vision d’un pizzaiolo bedonnant en tricot de peau est loin de l’image du mythe de l’Italien, il faut l’admettre, les rues, que ce soit de Milan, Florence, Rome ou Naples, offrent la démonstration d’une élégance très particulière qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Un style fait d’audace, d’art des mélanges (matières, motifs), de détails et de sens des proportions. Quand on leur pose la question de savoir quel est leur secret, les réponses convergent dans une même direction : « mais, c’est inné chez nous ». Certains ne pèchent pas d’excès de modestie comme Maurizio Marinella : « Les Italiens ont le sens du goût, du bon goût. Nous avons cela dans nos gènes. Que ce soit dans l’art, le design, l’architecture, nous sommes des esthètes et cela depuis l’Antiquité. » « Allez pauvres barbares, passez votre chemin, vous n’y entendrez jamais rien », pourrait-il ajouter, s’il n’avait cette exquise politesse des vieilles familles napolitaines.

En fait, en écrivant cela, nous faisons un contresens : les Italiens sont les hommes les plus généreux qui soient. Leurs secrets, leurs fournisseurs, leur style, leurs artisans, ils les partagent avec le monde entier. Tous les grands noms du luxe se tournent désormais vers la péninsule pour la fabrication de certains de leurs produits : costumes, chaussures, maroquineries… Le Français Louis Vuitton, leader mondial du luxe, n’a-t-il pas installé sa manufacture de souliers en Vénétie ? L’Italie a su conserver, dans chacune de ses régions, son savoir-faire traditionnel et ériger la mode masculine en une véritable industrie. Ses griffes s’étendent bien au-delà de l’Empire romain. Armani, Zegna, Canali, Pal Zileri, Corneliani, Gucci, Prada, Fendi, Cucinelli, Brioni, Bottega Veneta, Loro Piara, Marinella, Piombo, Tombolini, etc., tous règnent en maître sur la planète mode. Sans parler des groupes type Pepper Industries Spa ou Staff Industries qui détiennent un nombre impressionnant de marques internationales. L’élégance italienne serait donc en vente libre ? Quelques centaines d’euros, de dollars, de yens ou de yuans et elle serait votre ? Ce serait bien trop simple.

Pour être élégant comme un Italien, il faut avant tout devenir Italien, penser comme un Italien. Premier exercice, apprendre à connaître les matières, apprécier les tissus, les motifs, savoir les mélanger, avoir le sens des couleurs, des harmonies, comme des fautes de goût maîtrisées : les souliers en daim avec des costumes de ville, le cuir marron avec les costumes bleu marine. Deuxièmement, intégrer quelques règles de base : s’habiller à sa taille et même un peu ajusté. C’est le prix à payer pour une jolie silhouette. Faire couper ses pantalons assez court, et bien sûr, étroits dans le bas (21 centimètres maxi !). Idem pour les manches de vestes qui doivent laisser dépasser le poignet de la chemise d’au moins 2 centimètres.Troisièmement, ne pas lésiner sur les accessoires. Cravate, pochette, ceinture, boutons de manchette. Allez, on se lâche, on s’amuse, mais pas plus d’un élément fort par tenue. Ce n’est pas carnaval non plus ! Quatrièmement, la montre. Ah, la montre ! Les Italiens lui vouent une vraie passion et ils sont connaisseurs. Ils ont leurs marques fétiches, Rolex – vintage essentiellement –, Panerai par orgueil national, Eberhardt… Certains la portent par-dessus le poignet de leur chemise comme Agnelli. Mais là, c’est trop, il ne faut pas les suivre même si l’on comprend que tous les Italiens élégants soient orphelins du grand Gianni Agnelli. Toute sa vie, il a incarné une notion subtile, celle de la « sprezzatura » – littéralement, la nonchalance – mais qui se traduirait plutôt par « être élégant comme si on ne l’avait pas fait exprès ». La sprezzatura, c’est le cinquième commandement et le premier à la fois. Le plus difficile à suivre aussi. D’autant que cette nonchalance n’est qu’apparente, car le vrai secret des Italiens, c’est qu’ils prennent l’élégance au sérieux, sans complexe. Eux savent que chaque détail compte, qu’il faut travailler y compris avec son tailleur fut-il excellent, comme le confiait Lorenzo Cifonelli qui fait parfois 15 essayages avec un client (réputé, il est vrai, parfaitement élégant). Donc innée, l’élégance italienne ? Pas totalement. Culturelle, certainement, mais travaillée aussi. Les Italiens sont comme ces bons élèves qui par coquetterie n’avouent jamais bosser en dehors des cours mais le font quand même.

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