Yves Gastou : L’homme aux mille bagues

Dans sa galerie d’art de la rue Bonaparte, il est dénicheur de talents : Sottsass, Kuramata, Mendini, Ado Chale… Un oeil à l’affût, qu’il utilise aussi pour sa collection de bagues dont il est complètement addict. Il en possède plus de 1000 !

Comment tout a commencé ?

J’ai 7 ans lorsque ma mère m’offre ma première bague, une petite chevalière en argent. Originaire de Carcassonne, je rêve alors de chevaliers et d’armures. L’Église et ses processions vont accélérer ma passion. À la fin de la cérémonie, d’abord les enfants puis les adultes vont baiser la main de l’évêque. Moi, j’y allais 5 ou 6 fois de suite, ma mère était obligée de me rattraper par le col. Je lui disais, « mais maman, elle est tellement belle sa bague ! » J’étais fasciné : les sculptures, les tableaux, la beauté du Christ et de Saint-Sébastien, leur androgynie, l’encens, l’orgue, les chants, les vêtements brodés d’or de l’évêque… tout ce faste !

Votre collection de bague jalonne votre vie. D’où viennent-elles ?

À 15 ans, j’ai arrêté l’école pour entrer en stage chez un antiquaire. J’allais dans de grandes propriétés et maisons bourgeoises, dans de superbes châteaux viticoles, c’est là que j’ai commencé à les acheter. Dès 19 ans, je chinais dans les vieux stocks. Si j’allais au Maroc, dans les boutiques de souvenirs ou chez les bijoutiers, je demandais s’ils n’avaient pas des vieux stocks de bagues. Idem dans les magasins des années 70 de bagues de bikers. En 1980, je monte à Paris les week-ends pour aller aux Puces où je trouve aussi mon bonheur, je vais chez les grands joailliers de la place Vendôme, Mellerio di Meller et d’autres, pour leur demander s’ils n’ont pas des bagues d’évêque dans leur coffre. Ils sont alors bien contents de trouver un « fana » qui ramasse ces « trucs » invendables. Très vite, ma collection prend de l’ampleur.

Certaines de vos bagues sont très précieuses, d’autres pas du tout. Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ?

Bagues Mars Planet, un collectif de créateurs japonais.

Ce n’est jamais une question de valeur. Étant un grand dyslexique, j’ai soi-disant un oeil surdéveloppé. Je passe tout au filtre et c’est le coup de foudre comme avec quelqu’un… Je prends la bague, la touche, elle me plaît et lorsque je la passe au doigt, si elle me va comme un gant, il y a « le » frisson… La bague est un objet sexuel, sensuel et érotique. Ça colle à la peau.

Que symbolisent-elles pour vous ?

C’est un signe d’engagement, d’amour. À la naissance d’un enfant, on a envie d’offrir une bague, quelque chose qui soit lié à l’amour et la sensualité… Elle symbolise l’intime. Si on est d’une grande famille, la chevalière passe de génération en génération. La bague peut être transmise aussi à l’enfant qui va se marier pour sa future fiancée, mais surtout lors d’une rencontre, tout de suite, il y a l’anneau.

N’y a-t-il pas aussi une notion de pouvoir comme les grands seigneurs qui les portaient pour asseoir leur autorité ?

Pas de pouvoir. Lorsque je vais à un dîner avec deux bagues d’évêque énormes, je fais sensation. C’est une forme de provocation… dont je suis très fier. Le port de la bague aujourd’hui, tout comme les cheveux longs, l’anneau à l’oreille ou le tatouage, est lié à l’androgénie et à l’anticonformisme. Ces garçons qui osent ont quelque chose des dandys du XVIIIe siècle. Ils ne veulent pas être comme tout le monde.

Les bagues masculines aujourd’hui ?

De plus en plus de garçons en portent. Je le vois dans la rue tous les jours car mon oeil est toujours en train de chercher… Et tous les marchands de bagues me le disent. Il y a une vraie demande.

Portez-vous toutes vos bagues ?

Non… J’en ai mille ! À une époque, je prenais beaucoup de temps pour choisir celles que j’allais porter. Aujourd’hui moins, mais je fais toujours attention à bien les assortir à ma tenue. Ce matin, comme j’étais habillé en gris, j’ai fait un appairage de gris et de noir. Je les choisis aussi en fonction de l’humeur.

La bague parfaite ?

Bagues datant du XIXe siècle, entailles en cornaline, grenat et agate, monture néo-antique en or jaune et argent.

C’est celle qui, lorsque je l’enfile, me procure ce petit frisson. C’est comme serrer quelqu’un dans ses bras. Je refuse d’ailleurs de les faire agrandir ou rétrécir ; je ne veux pas qu’on les touche. Elles doivent m’aller parfaitement du premier coup. 95 % de mes bagues n’ont jamais été sciées pour être agrandies ou rétrécies. Ce serait leur faire mal. (Rires).

Quel est l’avenir de votre collection ?

Arrêter n’est pas possible. La collection va sans doute voyager… mais il y aura un moment où je ne vais garder que le noyau dur, celles que j’aime par-dessus tout, celles que mon fils affectionne. Il adore lui aussi les bagues même s’il n’est pas encore à mon niveau… Il n’est pas encore malade, lui (rires). C’est une addiction. J’arrête même les gens dans la rue.

Combien de bagues un homme élégant peut-il porter ?

Au XIXe siècle, le chic était une ou deux bagues dont l’alliance et la chevalière. C’était les bagues de famille quand on était noble, c’était aussi, au début XXe, celles que les hommes élégants se faisaient faire et qui représentaient leur personnalité. Aujourd’hui, on peut avoir deux bagues minimum mais on peut aller plus loin. Pourquoi pas à tous les doigts, même s’il n’y a que les personnalités du showbiz comme Karl Lagerfeld ou Peter Marino qui osent.

Par quelle bague et quel doigt commencer ?

Une vanité, une chevalière à ses initiales. Une petite bague en argent, avec ou sans pierre, rapportée d’un voyage en Inde, du Mexique, de Turquie ou d’Italie ou mieux encore, offerte par sa fiancée. On commence toujours par l’annulaire puis le majeur. Aujourd’hui, j’en ai trois d’un côté et deux de l’autre mais, mais ça peut changer, il n’y a pas de règles, aucun doigt n’est interdit.

Peut-on mixer tous les styles ?

Oui ! Une bague d’évêque avec une bague de biker, pourquoi pas, tout est possible. Lenny Kravitz, Johnny Halliday, Bono… tous les grands chanteurs rock ou les rappeurs font des mélanges… après, ils sont de plus ou moins bon goût…

Un conseil aux hommes prêts à se lancer ?

Osez ! Mes amis, des quarantenaires en costumes 3 pièces en rêvent la nuit ! Certains ont passé le pas. Ils en mettent une, parfois deux et le week-end, ils se lâchent. Je vends aussi des bagues à des capitaines d’industrie. Lorsque je leur demande s’ils les portent, ils me disent que leurs obligations ne le permettent pas. Même pas le week-end ! Je leur réponds, « vous êtes encore d’un autre siècle ! ». À la dernière Biennale, Madame Macron est passée sur mon stand. Nous avons échangé, et je lui ai dit : « je vois que votre époux aime les bagues et en porte. » Elle m’a répondu sur la défensive : « alors attention, il n’en a que deux ! » (Une alliance et les 3 anneaux de Cartier, ndlr.) Je lui ai offert mon livre. Comme ça, il pourra le regarder le dimanche !

Deux bagues en or, issues de la collection dYves Gastou, oeuvres du sculpteur Marc Grassier figurant une tête de bélier et un bucrane de cheval. En bas, la bague datant de la première moitié du XIXe siècle ornée dune pierre noir enchâssée dans une monture à cornes de bélier.
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