Le sport dans le rétro

Sensations authentiques et plaisirs esthétiques. Même en matière sportive, l’époque regarde en arrière. Sur un ring, en auto ou en bateaux, à motos ou à vélos : qu’importe le chrono pourvu qu’on ait le style.

« Original ». Deux amis détaillant la nouvelle raquette de tennis en bois LT12 créée par Lacoste n’ont que ce mot à la bouche. Mais ils ne donnent pas le même sens à ce terme. Comme un match à la loyale, une nouvelle querelle des anciens et des modernes anime les vestiaires. Les partisans de la modernité et de la technicité apprécient les matières légères et résistantes autant que les matériaux performants. à leurs yeux, les amateurs de pratiques sportives « à l’ancienne » sont des iconoclastes. En un mot : des originaux. Une distance prise comme un compliment par les tenants du « vintage ». à eux, matières nobles et authentiques, sensations pures et esthétique colorée de chic et rehaussée d’un brin de nostalgie. Pour eux, en effet, rien ne vaut… « l’original » ! D’anecdotique, il y a une quinzaine d’années, la pratique des sports comme autrefois ne cesse de se développer. Fini le temps où elle pouvait être une posture pour dandys ou une nostalgie d’esthètes pour une civilisation antérieure à celle du Lycra®. L’enthousiasme est aujourd’hui certain. Les épreuves fleurissent, dans toutes sortes de disciplines. Ainsi, par exemple, L’Eroica n’a-t-elle rien d’une mascarade ni d’une reconstitution de cinéma. Pas non plus une simple promenade de santé. Sur les petites routes au cœur des vignobles de Chianti, en pleine Toscane, pas question de poser pied à terre à vélos d’avant 1987. Ils sont désormais près de 4 000, venant de plus de 25 pays, début octobre, à mouiller de sueur les maillots colorés en jersey.

Si la course est ouverte à tous, la plupart des participants à L’Eroica adoptent à la fois le style des cyclistes d’antan et le matériel. Une récompense est décernée à ceux qui possèdent une bicyclette antérieure à 1987 avec des cales-pieds à sangle, un levier de vitesse sur le cadre et des gaines de frein extérieures.

Pédaler historique
Près de 250 km les attendent et pas que du plat. Les amateurs arborent les chambres à air en boyaux croisées autour du torse comme le cordon d’un ordre de chevalerie. Créée en 1997 par Giancarlo Brocci, cette épreuve rétrospective pour amateurs de bicyclettes équipées de cale-pieds à sangles ou de leviers de vitesses le long du cadre a dépassé le périmètre de la Toscane et s’exporte. La formule magique semble s’appliquer à tous les continents, car désormais, c’est du Japon à la Californie que l’on pédale historique. Britannia, la version anglaise, courue en juin, s’ajoute désormais au fameux Tweed Run, peloton tiré à quatre épingles parcourant la City mi-avril. Albion, il est vrai, fait souvent figure de paradis perdu pour les amateurs de « vintage », tant les britanniques savent cultiver leur patrimoine et leurs traditions, avec une pincée de dérision et un sens inné du commerce qu’ils peuvent en faire. Le cricket s’y joue toujours en blanc tandis que les clubs d’aviron n’abdiquent pas les rayures chamarrées de leurs rowing blazer. Seule peut-être la pink coat, la veste rouge pour la chasse à courre au renard, est pour l’heure prohibée. S’il n’est pas question de se prendre au sérieux, l’habillement y est une affaire de la plus haute importance. Nul n’oserait y voir un déguisement, puisqu’il s’agit de coutume. Il suffit de voir les participants en tenue d’époque s’élançant chaque année pour le Londres-Brighton. Ce rassemblement de voitures construites avant 1905 commémore la fin de l’obligation pour les conducteurs de se faire précéder dans les villages par un piéton portant un drapeau rouge. C’était en 1896 ! Depuis, la voie est libre, alors, chaque année, plus de 400 « ancêtres », c’est ainsi que l’on nomme ces véhicules à pétrole, électriques ou à vapeur, se réunissent pour rejouer joyeusement la partie. Tout cela est évidemment haut en couleur. Trois raisons permettent de décrypter le succès de ces manifestations paradoxalement aussi élitistes que populaires, puisqu’elles procurent autant de plaisir aux participants que de joie de vivre aux spectateurs. D’une part, l’engouement ressenti par les pratiquants en quête de sensations authentiques dans un monde de plus en plus aseptisé. Nul winch électrique, ni propulseurs pendant la Classic Week du yacht Club de Monaco. Mais de la force, comme au temps où les équipages scandinaves étaient surnommés « la vapeur norvégienne », et un sextant. à l’ancienne. Pour un plaisir pur, en prise directe avec l’environnement et la nature. Des satisfactions souvent très licites, puisque s’il faut enfreindre les règles pour se griser dans une voiture de sport contemporaine, à 40 à l’heure dans un petit roadster des années 50, au raz du sol et avec un pare-brise symbolique, l’adrénaline afflue déjà dans les veines. D’autre part, désormais, les équipementiers jouent le jeu. Ce qui n’était qu’une niche il y a une décennie s’est mué en un vrai marché ; celui des rééditions. Les marques sportives pures, comme les maisons de mode, y trouvent un terrain de jeu pour cultiver leur histoire autant que leur image, agrémentée d’un délicieux parfum proustien de nostalgie. Véritable ou suggérée. Rien de tel qu’une série limitée de ballons en cuir patinés pour donner un peu de saveur et de chic à une partie de football et ainsi vanter la légitimité d’un blason. Des stades ou des circuits jusque dans la rue ou le métro.

Dans la peau de son héros
Exemple : les tennis blanches. Un regain des fournisseurs qui va de paire avec une offre élargie de la part des clubs sportifs ou des organisateurs d’événements. Jadis confinés aux cercles de leurs initiés, ces activités sont désormais plus accessibles et plus ouvertes à qui ose ainsi s’affirmer. Une manière de laisser ses goûts s’exprimer, avec l’aura de bonne santé et de belle mentalité qu’offre le sport. Enfin, il y a le côté « jeu de rôle ». L’affirmation selon laquelle la différence entre un homme et un petit garçon serait seulement la taille des jouets est désormais un classique. Elle n’est pas prête d’être contredite. Grâce aux sports « vintage », elle est plus que jamais d’actualité car il est possible pour les grands d’enfiler leur panoplie et de jouer à faire semblant. Enfiler son blazer de yachtman au matin d’une régate classique, ses gants de boxe en cuir pour pratiquer la savate sur un ring aux cordes de chanvre du Battling Club de Paris, son pantalon de flanelle blanche pour un tournoi de tennis en raquette en bois sur gazon, ou encore sa combinaison de pilote de course à Goodwood ou à Monaco, c’est se glisser dans la peau de son héros. Casqué et ganté, il ne reste alors qu’à s’élancer, à condition de ne pas avoir oublié la photo ou le selfie. Paradoxe charmant. Car la diffusion se fait pour beaucoup par les réseaux sociaux. Inscriptions en lignes, forum de passionnés, images postées sur le vif : le vintage, désormais aussi chic que branché, est l’ami du digital. À vos marques. Prêts ? Likez !

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