Peter Beard, le chasseur d’images

Peter Beard a été retrouvé mort à 82 ans en pleine nature. Hommage à cet aventurier romantique avec lequel nous avions fait notre couverture en 2007. Photographe, visionnaire, artiste, play-boy, né en 1938, il a passé plus de 40 ans à observer l’Afrique de l’Est. Il faisait partie d’une espèce rare, celle des privilégiés qui étaient chics avec n’importe quoi sur le dos. Du kikoi kenyan au smoking occidental, l’homme en « jetait ».

Comment oublier ma première rencontre avec Peter dans les années 70 ? Mince, athlétique, bronzé, souriant, une gueule pour Hollywood… mais la tenue ! En haut, tout était « normal » : blazer bleu marine, chemise blanche Brooks Bros, cravate. En bas… un pantalon en toile de couleur indéfinie qui semblait avoir été repassé par un tracteur et qui tombait, s’affalait sur de grosses sandales africaines en cuir épais, d’où émergeaient les pieds nus de Peter…

Ses photos étaient superbes, cruelles, impressionnantes. Des carcasses, des squelettes d’éléphants, un témoignage saisissant sur le déclin des pachydermes au Kenya. C’était le sujet de son premier livre, The End of The Game, qui avait fait sensation à sa sortie, en 1965. Qui serait resté indifférent devant ces images ? Ce fut le début d’une longue amitié.

HIGH SOCIETY

Peter Hill Beard est né à New York en 1938 dans la bonne société Wasp (White anglo saxon protestant). Sa famille venait du Minnesota où son arrière-grand-père, JJ Hill, avait fondé le Great Northern Railroad. Pendant leur enfance, Peter et ses frères passent leurs étés à Long Island où leur mère, curieusement, va être à l’origine des fameux « diaries » de Peter : le matin, en effet, les garçons ne sont pas autorisés à sortir avant d’avoir raconté dans leur journal intime ce qu’ils ont fait la veille. Premiers collages de Peter. Merci Mme Beard…

Ensuite, éducation dans les meilleurs collèges, dont Felsted en Angleterre puis l’Université Yale, aux États-Unis. Peter a 16 ans lorsqu’il découvre Out of Africa, le livre culte d’Isaak Dinesen, nom de plume qui cache la baronne danoise Karen Blixen. Une lecture qui va changer sa vie. Peter, qui a eu un coup de foudre pour l’Afrique au cours d’un premier voyage en 1955, n’a de cesse de connaître Karen Blixen, qui a quitté définitivement le Kenya en 1931 pour retourner à Copenhague où elle mourra en 1962, à 80 ans, quelques mois après sa rencontre avec son admirateur.

Scène courante pendant une nuit blanche à Montauk : Peter à genoux avec ses encres et sa colle mettant à jour ses diaries.

LE SEIGNEUR DE HOG RANCH

Après quelques années de chasses et de safaris au Kenya, Peter a fini par acheter un domaine de 25 hectares, au bord du Parc National de Nairobi, Hog Ranch. Un port d’attache entre ses chasses et ses nuits blanches à New York. Il est maintenant célèbre. Pour l’hebdomadaire Newsweek, admiratif, c’est « Tarzan avec un cerveau ».

Il est le grand chasseur blanc, dans la tradition de « Papa » Hemingway, l’aventurier romantique, capable de marcher et de coucher par terre dans la brousse pendant des semaines entières. Ses employés kényans l’adorent. À Hog Ranch, le casting des visiteurs est international : écrivains, journalistes, chasseurs, top modèles, acteurs, rangers, réalisateurs, des Kennedy, des Rockfeller, tout le monde vient voir Peter.

Vodka orange en main, il tient salon, le soir, commentant l’actualité et, surtout, fustigeant les responsables du déclin de l’environnement du Kenya et de sa faune. On écoute Peter, on le regarde vivre et on n’est pas déçu. À Hog Ranch, il porte le kikoi (pagne) local. Peter dit à ses visiteurs : « Restez dîner, restez coucher, restez autant que vous voulez… »

PETER LE LÉGENDAIRE

Les aventures et mésaventures de Peter en Afrique sont célèbres et souvent incroyables. Ses ennemis – il en a – les ont mises en doute – mais, malheureusement pour eux, elles ont eu lieu devant témoin. Tout est vrai ! Quelques « exploits » signés Peter Beard ?

1. Alors qu’il dort à côté d’un campement de safari occupé par des Hollandais, des bandits armés attaquent. Peter poursuit les voleurs, machette dans une main et, dans l’autre, son Leica qu’il fait tournoyer comme une masse d’armes. Le sang coule…

2. Alors qu’il prend son petit déjeuner au bord du Lac Rudolph, Peter aperçoit un énorme crocodile à peine visible, en embuscade près d’un groupe d’enfants en train de jouer dans l’eau. Peter attrape son fusil, vise soigneusement, tire, le crocodile disparaît sous l’eau. Mort ou blessé ? Encouragé par les enfants, Peter plonge pour s’en assurer : le monstre est inconscient, mais il bouge encore. Peter le ceinture et parvient à le ramener sur la terre ferme devant les enfants médusés.

3. Peter a découvert qu’un braconnier a installé un piège à Hog Ranch pour capturer une antilope d’une espèce rare. Peter le surprend, le bâillonne et l’attache à un arbre. Arrêté, il est condamné à neuf mois de prison et douze coups de bâton. Il est finalement libéré sous caution, grâce à l’intervention de son amie Jackie Kennedy auprès du Département d’État, à Washington, après avoir passé dix jours – la tête rasée – dans la sinistre prison de Kamiti.

L’ACCIDENT

En 1985, deux autres arrestations, cette fois pour une sombre histoire de culture de marijuana et de… pornographie ! La police a trouvé chez Peter, le catalogue d’une exposition de photos d’Helmut Newton, au Moma, à New York, que son ami Helmut lui avait envoyé. Autre intervention de Jackie Kennedy et même de la CIA qui lui propose de l’exfiltrer. Mais le dossier est vide, monté de toutes pièces. Peter est acquitté.

En 1996, l’aventure tourne au drame. Un éléphant femelle charge et rattrape Peter qui l’avait détourné d’une voiture pleine d’enfants. Résultat, le bassin fracturé, de graves blessures aux jambes, trois opérations, et des séquelles. Plus tard, Peter commentera : « J’ai beaucoup plus peur des avocats américains que des lions et des éléphants ! ».

La période photographe de mode : Peter et les top models.

OPÉRATION IMAN

En 1975, Peter présente à la presse new-yorkaise admirative une beauté kényane qui va devenir rapidement le top modèle qu’on s’arrache. Il l’a découverte, dit-il, dans un désert du Nord du Kenya où elle était gardienne de chèvres. La vérité : Iman était mariée, la fille d’un diplomate somalien, et s’apprêtait à entrer à l’Université de Nairobi ! Longtemps après, Peter avouera en rigolant : « Nous avons tout monté. » Iman deviendra Mme David Bowie.

LES AMIS DE PETER

Peter Beard – PB (Pee Bee) pour les intimes, passe aussi facilement des pistes du Kenya qu’à celle des clubs de New York, de Paris et de Londres. Dans les années 70, Peter explose. Il vit dans un triangle composé de Hog Ranch, New York (où il couche parfois dans sa voiture) et sa propriété de Montauk (Long Island). Il est invité partout.

Les magazines de mode l’assiègent. Il est le symbole de l’aventurier viril et chic. Chez Barney’s, le grand magasin new-yorkais, on vend un tee-shirt avec l’inscription « I want to be your Peter Beard ». En 1978, Peter fête son quarantième anniversaire au célèbre Studio 54, temple new-yorkais de ce que, à l’époque, un chroniqueur appela méchamment la « discocaïne ». Trois cents amis, dont Andy Warhol, Elizabeth Taylor, les Rolling Stones, Truman Capote, Bianca Jagger, assistent au découpage du gâteau d’anniversaire géant en forme d’éléphant descendu du plafond à minuit.

LES FEMMES DE PETER

La vie sentimentale de Peter Beard vaut un livre à elle seule, aussi contentons-nous de la liste des femmes les plus marquantes. Les épouses d’abord. Une héritière, Minnie Cushing (premier mariage), un top modèle des années 80, Cheryl Tiegs (deuxième mariage), Nejma Kahun, fille d’un juge afghan, son épouse et mère de leur fille Zara.

Disséminées entre ces trois femmes sur la route amoureuse de PB, on trouve, entre autres, Bianca Jagger, Lee Radziwill, sœur de Jackie Kennedy, Candice Bergen, la Princesse Elisabeth de Yougoslavie, et de nombreuses inconnues, pour la plupart de passage…

Weekend à Montauk, flashback. Peter m’a invité à passer le week-end dans sa maison de Montauk, tout au bout de Long Island. La nature est sauvage, la maison à l’image de son propriétaire, un charme brutal. À côté, un moulin en bois centenaire que Peter a acheté à dix kilomètres de là et fait tracter jusque chez lui (il sera détruit par un incendie en 1977 avec 20 ans de diaries, de livres d’art et de tableaux de valeur). Au bord de la falaise d’où l’on contemple l’Atlantique… un plongeoir ! Des invités arrivent, restent, repartent.

La nuit, Peter est assis en tailleur sur son lit et travaille sur ses diaries : coupures de presse, coquillages, menus de restaurants, mèches de cheveux, petits textes écrits au porte-plume, le tout ponctué de coups de téléphone à ses amis du monde entier et entrecoupé de commentaires sur l’art, la photographie, le déclin de l’Afrique, le sort des éléphants et les derniers potins new-yorkais. Manger, dormir ? On verra plus tard… Je rentre à New York épuisé.

LE STYLE PETER BEARD

Peter fait partie d’une espèce rare, celle des privilégiés qui sont chic avec n’importe quoi sur le dos. Du kikoi kenyan au smoking occidental, en passant par la vieille veste en tweed et la saharienne fatiguée, l’homme « en jette ».

À propos de smoking (tuxedo pour les Américains), il faut savoir que l’un des grands-pères de Peter, qui, à la fin du XIXe siècle, avait fondé dans l’état de New York, le Tuxedo Park, une réserve de chasse privée, est l’inventeur d’une « dinner jacket » noire qui remplaça les vestes colorées des membres du très sélect Tuxedo Club local. Le tuxedo était né. Peter n’a jamais suivi la mode, ce qui ne l’a pas empêché, sans qu’il postule, d’être élu, dans les années 80, l’un des dix hommes les plus élégants du monde avec le Prince Charles…

AGENT PROVOCATEUR

On peut toujours compter sur Peter pour nager à contre-courant. La photo ? « Je n’ai jamais été photographe. Si vous avez un appareil et que vous prenez des photos, vous êtes photographe ». L’art ? « Un exercice en futilité ». Le mariage ? « Un bout de papier quand on se marie, un bout de papier quand on divorce ».

Commentaire de Peter sur Out of Africa, le film de Sidney Pollack tiré du livre de Karen Blixen : « Ces lions grassouillets avec leurs crinières brushing, je suis sûr qu’ils viennent de Californie ! Et Robert Redford, avec ses bottes de cow-boy, sa chemise trop ouverte, ses pantalons serrés, ces Noirs qui ont l’air de sortir d’un spot publicitaire… »

PB, COLLECTOR

Lorsqu’il envisageait vaguement de rassembler et de faire paraître ses photos et ses diaries dans un livre géant sous le titre Dans le portefeuille d’un homme mort, Peter ne se doutait pas que son rêve se réaliserait au plus près. Les deux livres qu’il a publiés chez Taschen en 2006 – un Collector numéroté de 1 à 250 (5 000 € à l’époque, 8 500 € aujourd’hui) et une Édition d’Art numérotée de 251 à 2500 (2 000 ) – étaient prévendus avant même leur sortie !

L’une de ses grandes photos, Lake Rudolph (1968), est partie à 114 000 $ en 2007 dans une vente aux enchères, à New York. Plus de 10 ans après, en 2019, à Londres, deux autres de ses oeuvres dont 756 éléphants en déroute, réunis par la fanine, s’envolent à plus de 200 000 euros.

« Tout ce qui m’arrive, c’est grâce à ma meilleure moitié, Nejma Khanum Beard, me dit, un jour, Peter, au téléphone depuis son appartement new-yorkais. Ma partie à moi est un mélange d’imprécision, d’irresponsabilité, de paresse et d’égoïsme. » Du Beard pur jus…

« MAIS IL ME RESTE MES KIKOI »

Lorsque je lui demandai de me parler d’avenir : « Plus ou moins vague, comme d’habitude. Partir à l’aventure sur un grand bateau, découvrir des pays que je ne connais pas, la Chine, l’Inde, l’Antarctique, l’Indonésie, la Mongolie, Samarkand, le Kazakhstan… Et encore plus de photos, de diaries, de collages, rassemblés en un tas qui finira forcément en livres publiés par Taschen ! » La mode ? « C’est fini, plus de blazers, je les ai tous perdus. Mais il me reste mes kikoi… »

Et sur sa nouvelle vie citadine ? « Malheureusement, je ne pense pas avoir changé, sauf que je suis passé de la vie sauvage dans la brousse à la vie des sauvages dans les villes. Paris est toujours grandiose, mais je dois dire que la frontière nord du Kenya n’est pas mal non plus, c’est même ce qu’il y a de mieux… »

L’artiste qui souffrait de démence a été retrouvé mort dans les bois, au milieu du Camp Hero State Park de Montauk. En pleine nature, là où il aimait vivre.

Sur le « plongeoir de la mort » installé par Peter devant chez lui à Montauk, tout au bout de Long Islang.

Bibliographie

The end of the game, Peter Beard, (éd. Chronicle Books). En français, La fin du monde, (éd. Le Chêne). Le déclin des éléphants du parc Tsavo au Kenya.

Eyelids of morning, Peter Beard et Alistair Graham (éd. NY Graphic society). Le grand livre sur les crocodiles.

• Le Peter Beard en édition d’Art de Taschen numérotée de 251 à 2500, un collector que l’on s’arrache !

Peter Beard à la une de notre couverture Monsieur en 2007.
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