Les nouveaux raffinements masculins

Mode, accessoires, cosmétiques, parfums… La frontière hommes/femmes s’estompe de plus en plus. Le « no gender » est partout. Surtout, depuis quelques temps, le masculin s’approprie les codes du féminin loin du mâle alpha rugueux. Un nouveau territoire d’expression en perspective. 

L’homme serait-il devenu une femme comme les autres ? Cet hiver, sur les podiums, défilent des costumes brodés de strass, de perles, de sequins et de taffetas moirés, des pantalons à taille haute, des vestes et chemises à volant, des rubans. L’esprit est couture, les tailles sont marquées.

Chez Dior Homme, Kim Jones, le directeur artistique, ne s’en cache pas. Il s’est inspiré des collections féminines des années 50 pour concevoir sa mode masculine. Désormais, les couleurs flashy, mais aussi le rose, le violet, le mauve ne font plus exception et s’affichent en étendard de cette nouvelle silhouette masculine. Des « petits sacs » se portent à la main à la manière des grandes dames. Les bijoux aussi ont la part belle. Les bagues ne sont plus l’apanage des femmes ou de quelques excentriques. Une vanité, une bague de biker ou d’évêque, les hommes sont de plus en plus nombreux à oser en porter.

Dans sa collection hiver, Louis Vuitton met à l’honneur les volants sur un manteau croisé en laine. (photo Louis Vuitton)

En 2018, Chanel sortait sa collection de maquillage, baptisée « Boy » du prénom de Boy Capel, l’amant de Coco. « La beauté n’a pas de genre », rappelait la maison de la rue Cambon qui enrichit, cette année, sa collection de deux vernis (noir et naturel), d’un correcteur de teint et d’un « stylo » pour « souligner, colorer et intensifier le regard ». En 2019, c’était Givenchy qui proposait son khôl et gel bonne mine sous l’appellation « Mister ».

 Sur les tapis rouges, on peut voir le chanteur « millennial » Harry Style et, même, plus viril, notre bon vieux Brad Pitt, avec les ongles peinturlurés. Il suffit de taper « #malepolish » sur Instagram pour voir l’ampleur du phénomène. Sans parler des youtubeurs « make-up » qui enregistrent des milliers de vues avec leurs tutos pour apprendre aux hommes à avoir le teint frais et un regard de braise.

Vingt ans après le premier essai de Jean-Paul Gaultier, la nouvelle lubie des grandes marques de beauté comme Chanel, Givenchy ou Tom Ford est le maquillage pour hommes.

Côté parfums, même constat. Les notes féminines comme la rose, le magnolia, le néroli se retrouvent dans des jus masculins. Même l’horlogerie s’y met avec notamment la nouvelle RM72-01 de Richard Mille ou la Bing Bang Millennial Pink d’Hublot, tout de rose poudré vêtue. Une tendance qui vise, cette fois, à gommer toute appartenance à un genre. Plus de X, plus de Y, une façon de brouiller les pistes et de s’affranchir du sexe.

« JE M’ADRESSE AUX HOMMES LIBRES »

Les emprunts entre les deux « mondes » ne sont pas nouveaux. Coco Chanel fut l’une des pionnières dans les années 20 à investir la garde-robe masculine. Dans les années 60/70, c’est l’androgynie qui était portée en idéal grâce à des artistes comme David Bowie ou Mick Jagger ou à des couturiers comme Yves Saint Laurent avec son smoking pour femme ou son costume mixte Safari. En pleine libération sexuelle, il avait cette volonté de sortir les hommes et les femmes de leur rôle social préétabli. Rappelez-vous son discours lors de l’ouverture de sa première boutique de prêt-à-porter masculin en 1969 :

« Je m’adresse aux hommes libres. Ce que je leur propose, ce n’est pas une nouvelle ligne, donc une nouvelle contrainte, mais la liberté. La virilité n’est pas plus liée à la flanelle grise et à l’épaule débordante que la femme ne l’est à la mousseline ou à la gorge pigeonnante.  »

TENTATIVES DE « FÉMINISATION »

On peut aussi citer Jacques Esterel qui essaya, dans ces mêmes années, d’inscrire la robe dans la panoplie masculine. Tout comme, 15 ans plus tard, Jean-Paul Gaultier tenta d’imposer les jupes puis une ligne de maquillage arrivée (trop tôt ?) dans les années 2000. Mise à part peut-être la silhouette androgyne sur costume slim d’Hedi Slimane et l’arrivée du « métrosexuel » et de ses crèmes de beauté, toutes les tentatives de « féminisation » de la panoplie masculine sont restées vaines. La primauté de l’homme version mâle Alpha subsistera.

Seule la femme a adopté les codes du vestiaire masculin. Toutes portent le pantalon, le costume et le jean « boy friend ». Mais aujourd’hui, l’inverse semble se produire. L’homme s’autorise enfin à investir davantage les territoires féminins. À investir ou devrait-on dire « à réinvestir ».

LOUIS XIV ET LES TALONS ROUGES

En effet, le maquillage, par exemple, ne date pas d’hier. Sous l’Ancien Régime, au XVIe, XVIIe et même XVIIIe siècle, les hommes se fardaient de blanc de céruse (à base de plomb !?), avaient du rouge aux joues, des perruques ou des cheveux poudrés et portaient des mouches en taffetas. Henri III s’ornait de boucles d’oreilles et de toutes sortes de pierres précieuses pour montrer sa magnificence. À la cour de Versailles, Louis XIV popularise les talons (rouges), le jabot, les nœuds de soie sur les souliers. Idem pour le rose. Avant d’être la couleur des petites filles, la teinte était celle des chevaliers et des puissants. Regardez le portrait d’Henri IV réalisé par le peintre Jacob Bunel (1606). Le roi de France portait une tunique rose et incarnait Mars, le dieu de la Guerre.


UN PEU D’HISTOIRE

Si les femmes ont adopté la panoplie masculine, l’inverse n’est pas vrai. Rares sont les incursions du féminin dans le vestiaire masculin. Et pourtant…


La Révolution française marquera la fin de cette ostentation voire de cette frivolité. Fini les pierres précieuses, le maquillage et la culotte. Place à la sobriété, à l’uniformité et au pantalon. « C’est à partir de l’arrivée au pouvoir de la bourgeoisie que le masculin s’est stéréotypé et que la différence entre les deux sexes s’est renforcée », explique Frédéric Monneyron, sociologue du luxe et de la mode*.

UNE RÉVOLUTION EN DOUCEUR

En effet, en 1800, une ordonnance de police interdit formellement aux femmes d’adopter le pantalon et plus largement le vêtement masculin. Elles n’avaient, à cette époque, qu’un seul et unique choix : la robe. Point final. Il aura donc fallu plus d’un siècle et demi pour que les choses changent. Mais attention, si aujourd’hui la féminisation du vestiaire masculin est en marche, cela ne veut pas dire qu’il faut s’attendre à trouver à chaque coin de rue des hommes à froufrous maquillés comme des camions volés. La révolution se fait tout en douceur et ouvre la voie à de nouveaux raffinements.

LE DROIT DE SE FAIRE CHOUCHOUTER

Une minorité se maquille pour cultiver une « mise en beauté » naturelle plutôt que pour ressembler à Lady Gaga. « Nos clients masculins représentent 10 % et demandent toujours une manucure très sobre sur une base mate ou brillante, explique-t-on chez Nail Kitchen. Seuls les hommes très branchés, adeptes de créateurs japonais ou de Rick Owen, nous demandent du noir ou du bleu foncé. » Au Cercle Delacre, « on prodigue des manucures autant que des coiffures. Les hommes intègrent de plus en pus l’idée qu’ils ont, eux aussi, le droit de se faire chouchouter. »

Ici point de vernis mais un polissage dans les règles de l’art. Côté maquillage, la maison propose désormais le « microneedling », ou remplissage permanent des sourcils, comme un tatouage. « Une vraie demande. » Seuls quelques clients du Moyen-Orient ou du Brésil tentent le vernis (transparent) sur le bout des pieds.

UN CÔTÉ PUNK ?

Ces nouvelles pratiques sont, en effet, à observer aussi sous le prisme culturel pour les comprendre. Par exemple, au Moyen-Orient ou en Asie, les hommes sont habitués à se parfumer avec des notes féminines, ce qui n’est pas encore le cas en Europe où la tendance reste plutôt inverse. Même Brigitte Macron pique le parfum de son mari (Eau Sauvage).

Pour le prospectiviste Olivier Parent**, il y a aussi sans aucun doute un côté « punk » à adopter ces codes féminins. « Une envie d’aller à l’encontre du “mainstream” et des bourgeois, alors qu’il n’y a plus de transgression aujourd’hui. Le rock’n roll, les tatouages, les piercings sont tombés aux mains du plus grand nombre. »

MOINS DE PRESSION SOCIALE

Le rapport « homme/femme » et la volonté de s’en extraire seraient aussi une des principales raisons de cette confusion des genres.  Moins de pression sociale, une plus grande liberté mais sans doute au prix d’un ego et d’un individualisme exacerbés. En attendant, si vous voulez piquer le vernis de votre femme, c’est autorisé.

Pour Frédéric Monneyron, l’explication est ailleurs et plutôt du côté de la séduction. « Pour plaire et c’est tout le problème des harceleurs de #metoo, il faut rentrer dans les codes du féminin, se les approprier. Le processus de séduction passe toujours par une forme de féminisation. Regardez Valmont dans Les Liaisons Dangereuses, il est prêt à pleurer pour plaire. Et Casanova ? Il se déguise bien en femme pour séduire, non !? ».        


 *Auteur de L’imaginaire du luxe (éd.Imago) ou encore Séduire, L’imaginaire de la séduction de don Giovanni à Mick Jagger (éd.PUF).
** Fondateur du site www.futurhebdo.fr

les articles du moment