Conversation avec Monsieur Dior

Pour les 75 ans de la maison parisienne, Kim Jones, le directeur artistique des collections homme, rend hommage à la virtuosité de son fondateur en s’inspirant des premières créations féminines de ce dernier. Entre héritage et vision novatrice.  

La veste Bar lancée en 1947 lors du tout premier défilé Dior.

Dans l’atelier de prototypage de la rue Marignan, une dizaine d’artisans s’affairent pour donner vie aux idées de Kim Jones. « C’est ici qu’est née la veste Bar “nouvelle génération”, celle qui fait sensation dans la collection automne-hiver 2023 », explique, pleine de fierté, sa responsable, au milieu des portants, machines à coudre et patronages. Sur ladite veste, deux pinces latérales, au niveau de la taille, viennent appuyer cette dernière et donner un effet bombé, un côté « jupe corolle » caractéristique de la version originale.

Collection Dior Men automne/hiver 2023

On apprend, en effet, que ce nouveau modèle, au look pourtant si actuel, s’inspire d’une création de 1947. La veste Bar est même l’élément clé du fameux « New Look » élaboré par Christian Dior lors de son premier défilé. Soixante-quinze ans les séparent et la modernité de chacune de ces deux pièces reste intacte.

Un pont symbolique

Kim Jones s’est toujours inspiré de l’héritage de la maison. Mais, pour cette collection anniversaire, il s’est tout particulièrement intéressé aux débuts du couturier et à ses premières créations. Lors du défilé de la collection hiver 2023, place de la Concorde, on peut d’ailleurs entendre sa voix. « Une silhouette, des silhouettes apparaissent et s’imposent de plus en plus à l’imagination. Les croquis fixent ce travail de l’esprit […], pas comme une composition statique ; non, ce sont des silhouettes en mouvement. »

C’est sur le pont Alexandre III, reproduit à l’identique, que nous avons vu défiler celles, hybrides et romantiques, des mannequins de Kim. On ne peut s’empêcher d’y voir un pont symbolique entre le passé, le présent et l’avenir. Car, cette saison, il s’agit bien de cela, d’une réelle conversation avec Monsieur Dior et son génie créateur. 

Collection Dior Men automne/hiver 2023
Le Drapé Noué, 1953. (Document courtesy Dior)

Un héritage modernisé

« J’ai voulu me plonger dans les archives, dans la pureté des débuts de la Maison, dans son élan originel, explique le designer anglais. Nous nous sommes penchés sur les premières collections et nous nous sommes concentrés sur l’architecture, en utilisant ces éléments et en les transformant presque instinctivement en pièces masculines modernes, avec toujours cette joie de vivre qui est au cœur des créations de Christian Dior. » Kim Jones s’est donc régulièrement rendu dans le département « Dior Héritage », un lieu caché au fond d’une cour, toujours rue Marignan, où se trouve, soigneusement conservée, une partie du patrimoine de la maison, des premières créations aux croquis du créateur en passant par le moindre communiqué de presse. 

Des roses aux motifs léopard

Le directeur artistique y a donc puisé les symboles, motifs, structures qui font les codes de l’univers de Christian Dior. Chaque look célèbre et revisite avec modernité ce riche héritage. Au-delà de la veste Bar, dont les courbes sophistiquées sculptent un manteau long ou un blazer en laine, on retrouve pêle-mêle l’étoile porte-bonheur du couturier, ses roses, le motif léopard imaginé en 1947 – Mizza Bricard, sa muse, en était folle – ou encore le gris Trianon, la couleur préférée de Monsieur Dior, en teinte dominante de la collection.

Châle Pernelle de l’hiver 1950

Cette broderie s’inspire des brins de muguet qui figuraient sur une robe créée en 1953 pour Elizabeth Parke Firestone, une fidèle cliente américaine.

Le cannage, tiré du dossier de son fauteuil médaillon Louis XVI, devient un cuir matelassé. Les broderies de muguets figurant sur une création destinée à Madame Firestone, fidèle cliente, en 1953, ont été revisitées et s’apposent sur un bomber sport. Kim Jones s’est aussi inspiré de la robe iconique Miss Dior imaginée en 1949 pour créer ces myriades de fleurs, brodées à l’identique par les ateliers Lesage, sur des pulls tout juste éblouissants. Sur les manteaux, on reconnaît le Drapé Noué de l’hiver 1953 ou le col châle Pernelle de celui de 1950. Même Bobby, l’adorable petit Westie blanc, si cher au couturier, se retrouve brodé sur des chemises, cravates, pulls…  Une collection qui a du chien oui mais surtout qui témoigne d’une grande audace créative.                              

Hélène Claudel

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